Une prophétie annonce à Androclès (Ettore Manni), roi de Thèbes, un péril venu d'outre-Atlantique. Celui-ci part avec son ami Hercule (Reg Park) à la rencontre de la menace. Un naufrage sépare Hercule d'Androclès et lui fait découvrir une civilisation aussi avancée qu'impitoyable.
Le brio de ce véritable ovni transalpin n'est pas forcément évident ; certes, dès le plan-séquence d'introduction mettant à l'amende la quasi-totalité des metteurs en scène de péplum italien, le spectateur peut se rendre compte du talent de cinéaste de Cottafavi. Mais en réalité, sa beauté ne vient pas uniquement de sa rigueur formelle, mais aussi du fait que les choix narratifs les plus risqués, les plus délirants se révèlent pratiquement tous en bout de ligne pertinents et inventifs.
Prenons le curieux choix de Reg Park en Hercule : moins charismatique que Steve Reeves, moins brillant que Mark Forest, le culturiste (encore plus massif que ses prédécesseurs) donne à son personnage une bonhomie et une décontraction le rendant profondément sympathique. Ainsi, l'inaction du personnage, qui passe pratiquement toute la première demi-heure à dormir, manger et boire, n'est pas une carence mais une manière de définir un personnage de bon vivant évitant la bagarre autant que possible (durant l'introduction il est d'ailleurs tranquillement occupé à se rassasier alors que tout l'auberge se bat dans un capharnaüm digne du Philippe de Broca de l'Homme de Rio). Ce pacifisme d'un héros pourtant réputé pour ses exploits guerriers donne à son entrée en action un véritable souffle lyrique car elle se fait contre sa volonté.
Autre idée a priori saugrenue : délocaliser l'action en Atlantide. En réalité, l’île permet à Cottafavi d'exprimer une métaphore politique de plus en plus explicite : délires raciaux en vue de créer une civilisation supérieure (les prototypes sont d'ailleurs tous blonds), uniforme des atlantes rappelant les chemises brunes, images de charniers évoquant avec force les archives de camps d’extermination.... Rappelons au passage que les atlantes furent une partie intégrante du folklore nazi et servirent fréquemment de héros dans les bandes dessinées collaborationnistes. Cottafavi n'hésite d'ailleurs pas à moquer la démocratie grecque (personne ne veut se mesurer aux atlantes par peur que leurs voisins n'en profitent pour les envahir) et la scène de discussion au conseil est révélatrice d'un dernier choix audacieux : l'humour.
Si certains précédents films de la série Hercule avaient pu utiliser des éléments comiques, ici Cottafavi fait preuve d'un détachement qui pourrait presque être qualifié de parodique si le cinéaste n'assombrissait pas le ton au fut et à mesure du film, de façon relativement subtile au point qu'il est difficile d'en saisir le point de basculement. Le massacre des révoltés - traité en ellipse comme dans le Kagemusha d'Akira Kurosawa - ou la révélation des expériences atlantes font d'autant plus froid dans le dos qu'on ne pouvait que difficilement pressentir d'une telle bifurcation vers le drame.
Cottafavi n'aimait pas le péplum et n'y fut confiné qu'à cause des échecs de ses expériences néo-réalistes. Néanmoins, il trouve le parfait équilibre entre le grand spectacle et ses ambitions auteurisantes, entre les conventions et sa patte personnelle. Il est brillamment secondé par des acteurs tous impeccables (Fay Spain en reine démoniaque tire particulièrement son épingle du jeu, mais Ettore Manni et Luciano Marin en comparses d'Hercule sont irréprochables) et par une photographie de Carlo Carlini sous influence Mario Bava. Deux petits bémols toutefois : l'affrontement entre Hercule et Protée, si il donne lieu à l'une des plus belles fulgurances visuelles du film (l’île qui saigne) est en partie ridiculisée par le monstre en latex grotesque dans lequel Protée se déguise ; et la destruction de l'Atlantide qui donne lieu à une utilisation de stock-shots d'Haroun Tazieff produisant un effet de distanciation assez pénible. Pour le reste, cet Hercule à la conquête de l'Atlantide est l'un des rares grands films au sein du péplum transalpin et mérite les louanges dont il fut l'objet.
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