mercredi 26 mars 2014

Je suis un fugitif (Alberto Cavalcanti, 1947)



Clem Morgan (Trevor Howard), ancien pilote lors de la deuxième guerre mondiale, est désormais trafiquant de cigarettes au sein de la bande dirigée par Narcy (Griffith Jones). Les désaccords fréquents entre les deux hommes et les vues de Narcy sur la compagne de Morgan le poussent à faire condamner celui-ci pour un meurtre de policier en réalité commis par lui-même. Morgan parvient à s'évader de prison et, avec l'aide d'une jeune femme répudiée par Narcy (Sally Gray), entreprend de se venger.

Ce véritable film noir anglais se situe dans une période charnière de la fascinante carrière de Cavalcanti : réalisé immédiatement après Nicolas Nickleby qui marqua la fin de sa collaboration avec les studios Ealing, il fait partie des derniers films anglais du cinéaste qui allait bientôt repartir dans son Brésil natal dont il serait l'un des plus importants metteurs en scène. On peut penser à certains moments au merveilleux film de Mervyn LeRoy, Je suis un évadé qui traitait également d'un prisonnier en fuite mais Je suis un fugitif abandonne les tentatives de réinsertion vouées à l'échec pour se concentrer sur le rapport conflictuel unissant l'anti-héros Morgan et le détestable Narcy, quelque part entre les films d'Hitchcock traitant d'un innocent persécuté et certaines œuvres de Fritz Lang dans les années 30. Toutes ces comparaisons sont peu flatteuses pour Cavalcanti qui peine à atteindre leur niveau ; loin d’être honteux, il peine à laisser une empreinte durable sur l'esprit du spectateur et nous livre une oeuvre techniquement aboutie, exempte de scories rédhibitoires mais ne trouvant jamais la grâce des grands films.



Pourtant, il y a de belles choses dans Je suis un fugitif. Après un démarrage un peu lent, l'évasion du héros donne lieu à deux excellentes confrontations, l'une avec une femme peu effrayée qui le prend pour un assassin et lui demande de tuer son mari, l'autre avec un chauffeur de camion trop suspicieux. C'est dans ces moments un peu en marge de la trame principale que le caractère social du film s'exprime le mieux : dès lors que le héros est condamné pour un crime, il devient d'office coupable des suivants ce qui accentue sa perte de repères. Si le combat contre les sbires de Narcy manque de la nervosité d'un Siodmak ou d'un Walsh, la poursuite sur les toits est également un beau moment de cinéma en dépit d'une conclusion bâclée. Signalons aussi la très belle photo d'Otto Heller, l'intéressant jeu sur les décors (avec des gangsters en planque dans des cercueils !) et le regard sur le système répressif anglais qui n'est pas sans évoquer le Il pleut toujours le dimanche de Robert Hamer qui possède d'ailleurs un plan quasiment identique (celui sur le dos de l'ancien forçat zébré de coups de fouet).
Du coté des éléments plus frustrants : Cavalcanti semble ne pas oser représenter frontalement la violence et plusieurs scènes passent à coté de leur dénouement logique ; passent encore les ellipses lors des meurtres ou de l'évasion du héros, mais on peine à croire que le personnage de la femme amoureuse d'un des complices craque devant Narcy avant même que celui-ci ne la frappe. La relation entre Sally Gray et Trevor Howard est loin de celle unissant les couples " de fait " Hitchcockiens ou les cavaleurs Langiens, et durant la dernière partie du film leur jeu cède à quelques élans mélodramatiques convenus ; Griffith Jones en mufle violent parvient en revanche à donner corps à un personnage totalement détestable. Enfin, la conclusion pessimiste semble artificiellement calquée sur un récit qui ne converge pas vers elle et vient nous rappeler que les fins nihilistes ne sont pas forcément plus appropriées que les happy end forcés.



Je suis un fugitif est un bon film auquel il manque l'ampleur, la dimension tragique ou la nervosité de ses meilleurs concurrents américains. Moins marquant qu'un Went the day well ? ou que le sketch du ventriloque d'Au coeur de la nuit, il est toutefois révélateur du métier d'un cinéaste fréquemment balayé d'un revers de la main par les encyclopédistes, en témoigne par exemple la notice assez dédaigneuse lui étant consacrée dans le dictionnaire de Jean Tulard.

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