samedi 17 mai 2014

Le Charlatan (Edmund Goulding, 1947)



Stan (Tyrone Power) travaille dans un cirque ou il observe le numéro de Pete et Zeena (Joan Blondell). IL tue Pete accidentellement et apprend de Zeena le code permettant la mise au point d'un redoutable numéro de divination. Stan et sa maîtresse Molly (Coleen Gray) sont exclus du cirque mais mettent au point un spectacle particulièrement bien rodé. Stan rencontre une psychanalyste ambiguë, Lilith (Helen Walker).

Adapté d'une des séries noires les plus étranges de la collection signée William Gresham, le Charlatan est également un superbe film qui à l'instar de Laura ou Gilda (dont il est très différent) se situe entre le drame et le film noir. Ces œuvres ne sont pas exemptes d'influences européennes (Goulding est britannique, Preminger autrichien et Vidor hongrois) se traduisant notamment par un grand soin apporté aux personnages féminins et à l'étude psychologique du couple. Mais le Charlatan est également imprégné de cette fatalité propre au film noir américain, une tireuse de cartes représentant l'équivalent contemporain de la Pythie grecque et les actions du héros aboutissant inévitablement aux prédictions faites par celle-ci (il tue l'alcoolique involontairement, rejette les conseils de ses amis et termine le film dans l'état qui l'effrayait le plus au départ). Le grand mérite du scénario est de parvenir à faire exister plusieurs personnages très forts gravitant autour de l'opportuniste Tyrone Power : Zeena, expérimentée et intelligente mais volage et superstitieuse ; Molly, simple et amoureuse mais la plus pure moralement, et la psychanalyste Lilith qui derrière son raffinement bourgeois et ses bonnes manières cache une absence totale d'empathie pour autrui. Si Stan est un génie de l’artifice, il ne l'est qu'à échelle artisanale et ses petite arnaques ne font pas le poids face à un esprit citadin encore plus manipulateur que le sien. C'est d'autant plus audacieux que la psychanalyste est posée a priori comme le repère moral du Charlatan, alors qu'elle est infiniment plus cruelle et égoïste que Zeena et Molly.



Le cinéaste Edmung Goulding était plus réputé pour son talent d'esthète et de directeur d'actrices que pour ses affinités avec l'univers du film noir. Pourtant, il se révèle ici un excellent choix puisque la densité qu'il parvient à donner aux femmes est cruciale dans la réussite de l'oeuvre. Si narrativement on retrouve quelques facilités - notamment à l'approche de la fin - elles sont d'autant plus tolérables que le cinéaste filme avec un amour évident ses personnages de combinards à la petite semelle : lorsque Molly " trahit " Stan en abandonnant la mascarade, celui-ci se comporte avec une surprenante dignité. De même, il parvient dans un effort désespéré à concentrer les ennuis sur sa seule personne et essaye tant que possible d'épargner son entourage. Ces discrètes atténuations nous permettent d'apprécier encore plus un personnage pourtant détestable sur le papier, menteur et escroc ; il faut dire que Tyrone Power, beau gosse ayant souhaité casser une image publique trop lisse, fait ici merveille. Et si Joan Blondell et Helen Walker sont très bonnes, c'est Coleen Gray dans le rôle le plus difficile du film (les ingénues sont fréquemment éclipsées par les femmes fatales) qui est la plus étincelante.



En plus d'être convaincant comme film noir et comme mélodrame, Le Charlatan est également une virulente critique de la foi religieuse et de la croyance. C'est d'autant mieux amené que le héros est un homme d'extraction modeste qui parvient à faire avaler n'importe quoi à des gens a priori plus intelligents et mieux éduqués que lui en jouant sur leurs émotions, leurs envies secrètes et leurs peurs primitives. Le plus grand génie de Tyrone Power est de deviner facilement ce que les gens souhaitent entendre, et si il se défend devant Molly de se prendre pour Dieu (et il est probablement sincère), il est difficile d'être dupe de son ambition. Sa déchéance est un peu moins captivante que son ascension mais Goulding parvient avec beaucoup d'efficacité à rendre le sentiment de paranoïa et de folie qui s'empare progressivement de lui. La magnifique photo de Lee Garnes achève de faire du Charlatan une réussite à redécouvrir de toute urgence.

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