samedi 21 février 2015

La Chevauchée des bannis (André De Toth, 1959)


Blaise Starrett (Robert Ryan), un éleveur, vit au sein d'un petit village enneigé du Wyoming. Le fermier Hal Crane dont la femme Helen (Tina Louise) fut la compagne de Starrett pose des barbelés autour de sa propriété, entrainant un violent conflit. L'arrivée d'un groupe de criminels menés par le capitaine Jack Bruhn (Burl Ives) va contraindre les adversaires à s'entendre.

Parmi les nombreux mythes issus du western, celui du nettoyeur de villes est un des plus ambigus et donc des plus intéressants. Starrett a par le passé rendu de grands services aux fermiers en éliminant des hors-la-loi, mais une fois la ville pacifiée il n'est plus qu'un poids mort que la communauté juge indésirable. Les bandits commandés par Bruhn ne viennent pas interrompre la quiétude d'une paisible bourgade, au contraire ils arrivent quelques secondes avant qu'une fusillade n'éclate, et ce n'est que face à un nouvel ennemi commun que Starrett et ses voisins peuvent se réconcilier. Mais là ou De Toth apparait comme extrêmement audacieux, c'est que derrière l'optimisme de façade de sa conclusion se cache une fin plus implicite : la menace éliminée, Starrett sera probablement de nouveau mis à l'écart de la société et sa victoire apparente cache en réalité une condamnation à l'exil et à la solitude. La Chevauchée des bannis n'est pas des films dont le nihilisme est le plus apparent mais il cache en son fond une incroyable tristesse, la femme aimée de Starrett lui échappant qui plus est du début à la fin du film.


Il y a dans La Chevauchée des bannis une écriture des personnages absolument formidable. Starrett n'est certainement pas un héros extrêmement sympathique : l'introduction le montre aigri, maussade, bourru et il ressemble à un cousin tout aussi solitaire de l'Henry Fonda de L'Étrange incident (les points communs avec certains films de Wellman sont nombreux, De Toth montrant par exemple la neige avec une sécheresse similaire à celle avec laquelle le réalisateur de La Ville abandonnée filmait le désert). Le conflit avec les fermiers est loin d'être manichéen, a fortiori lorsque l'on comprend que l'envie d'en découdre de Starrett est avant tout motivée par le souhait de retrouver son ancienne fiancée. Au contraire, Burl Ives est un méchant d'une grande profondeur psychologique, tentant de protéger la ville des exactions de ses hommes (il est symptomatique qu'au lieu de chercher à tuer le chef des bandits, Starrett s'acharne à le maintenir en vie tant il sert de soupape de sécurité). La galerie de faces peu attirantes composant son équipe tient d'ailleurs plus du film noir que du western avec notamment un duo de psychopathes excellemment incarnés par Jack Lambert et Lance Fuller, mais aussi une recrue plus jeune se rapprochant progressivement des fermiers.



Une dizaine d'années avant Le Grand silence qui demeure le plus beau film de Sergio Corbucci, De Toth montrait la rudesse de la neige, la difficulté de vivre dans un tel cadre. A cet égard le règlement de comptes final tient doublement du génie : d'abord parce qu'il est absolument anti-spectaculaire (aucun duel, aucun coup de feu), ensuite parce qu'il offre des plans absolument saisissants comme celui du visage gelé de Lance Fuller ou encore celui de Jack Lambert à bout de force, tentant de rassembler le peu d'énergie qui lui reste pour faire un pas. On notera également une superbe scène de bal durant laquelle la caméra effectue un interminable panoramique, passant du visage des danseuses (terrifiées) à ceux des hors-la-loi déformés par la concupiscence. Le suspens y atteint son paroxisme puisque de nombreux conflits latents semblent à deux doigts d'exploser : Pace et Starrett, Tex et Gene, le capitaine Bruhl et l'ensemble de ses hommes... Pratiquement chacun d'entre eux est une bombe à retardement, une simple phrase lors de la présentation du cheyenne ( " il déteste les hommes blancs mais aime les femmes blanches " ) nous faisant comprendre que derrière son mutisme, il est tout aussi redoutable que Tex ou Pace. A cet égard, il est peut-être légèrement dommageable que la deuxième partie simplifie un peu trop ses enjeux en réduisant le tout à une lutte entre Starrett et les tueurs, mais ce minuscule défaut ne saurait faire oublier que La Chevauchée des bannis est une merveille du western, un des plus beaux films d'André De Toth aux côtés de Pitfall et Chasse au gang.

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