Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
samedi 28 février 2015
Le Samouraï et le Shogun (Kinji Fukasaku, 1978)
A la mort du shogun Tokugawa, un conflit oppose ses fils Iemitsu (Hiroki Matsukata) et Tadanaga (Teruhiko Saigô). Le maître d'armes d'Iemitsu, Tajima (Kinnosuke Nakamura) décide de faire assassiner le chambellan Doi, principal soutien de Tadanaga ; pour accomplir cette mission, il envoie son fils Jubei (Sonny Chiba) recruter les gens de Negoro, des guerriers auxquels Tajima promet un territoire.
Si des cinéastes comme Eiichi Kudo ou Hideo Gosha ont pu s'attaquer aux travers de la société féodale nippone avec une grande force contestatrice, Fukasaku aura prouvé ici qu'il n'avait rien à leur envier en signant ce qui est peut-être son plus beau film hors yakuza-eiga. Le Samouraï et le Shogun possède un scénario étoffé, foisonnant qui tout en faisant vivre une bonne quinzaine de personnages demeure toujours limpide et le metteur en scène télescope avec génie les points de vue divergents, passant d'un personnage à un autre avec une rare aisance. Des films comme Le grand attentat ou Goyokin montraient la lutte entre les représentants des autorités et un petit groupe d'individus déterminés ; Le Samouraï et le Shogun propose une situation assez différente puisque l'on y assiste à un combat entre deux groupes aux forces sensiblement équivalentes, celui de l'héritier légitime Iemitsu et celui de son cadet Tadanaga. Chacun des frères n'est en réalité qu'un outil entre les mains des courtisans, et il n'y aurait aucun conflit (Tadanaga ne souhaitant pas régner) si divers protagonistes n'agissaient pas en sous-main ; de plus, la situation est volontairement envenimée par les dignitaires impériaux qui jouent sur les deux tableaux afin de provoquer une guerre pour faciliter la mainmise impériale. Cette importance des structures sociales et la manière dont les décisions prises à haut niveau se répercutent inévitablement sur les plus faibles est ici d'autant plus marquante que chaque personnage sert même involontairement l'un ou l'autre des belligérants, faisant d'eux des pions manipulés au gré des intérêts du moment.
Si l'on comprend aisément les motifs initiaux de Iemitsu, méprisé par la cour et par ses propres parents, ses méthodes pour régner sont de plus en brutales et ce qui apparaissait en premier lieu comme une tentative légitime de repousser les odieux conseillers de son frère aboutit finalement à un monstrueux despotisme. Les humbles sont représentés par diverses factions : les samouraïs errants, le peuple sans terre de Negoro ou encore le joueur de flute amoureux se retrouveront tous engagés dans un conflit qui ne les concerne pas pour être sacrifiés en temps voulu. Les tentatives de résistance sont vouées à l'échec ou contre-productives (la mort du dignitaire impérial instrumentalisée par Tajima, la rébellion finale de Sonny Chiba qui restera ignorée par l'histoire) et les massacres produisent un sentiment de dégout proche de la boucherie finale de Kagemusha. Qui plus est, le film n'est pas avare d'idées surprenantes : le comédien de théâtre déguisé en courtisane pour attaquer Iemitsu, l'étonnant duel entre Tajima et Ginsisai, l'usage de l'arrêt sur image lors du sacrifice de Shinzaemon... Fukasaku montre sa capacité à varier sa mise en scène, alternant entre un classicisme rigoureux lors des scènes d'intérieur et un filmage plus heurté (zooms brutaux,recadrages, caméras portées) lors des combats.
Il serait injuste d'oublier le brio de la distribution puisqu'on n'y trouve rien de moins que Sonny Chiba - qui crève l'écran dans l'un de ses rôles les plus aboutis -, Hiroki Matsukata, Hideo Murota, Kinnosuke Nakamura, Tetsuro Tamba, Isuzu Yamada (la Lady Macbeth du Château de l'araignée) et même Toshiro Mifune ! Leurs excellentes prestations permettent au cinéaste de livrer un film triplement réussi puisqu'il est aussi abouti comme film historique que comme chambara et comme mélodrame - les dix dernières minutes sont bouleversantes -, prouvant qu'il est possible de charger une œuvre d'une forte dimension politique sans tomber dans le manichéisme ou la lourdeur didactique. Une grande réussite.
jeudi 26 février 2015
So dark the night (Joseph H. Lewis, 1946)
Le détective Henri Cassin (Steven Geray) prend des vacances dans une petite auberge française où il rencontre Nanette (Micheline Cheirel) dont il tombe amoureux. Celle-ci est courtisée par son ami d'enfance, Léon, mais s'intéresse surtout à Cassin. Nanette puis Léon sont découverts assassinés, conduisant Cassin à mener son enquête.
En voilà un film contrariant. Méconnu mais adoré par une partie de la critique spécialisée (Lourcelles, Tulard, Tavernier), So dark the night est tout à fait aussi original que ses laudateurs le prétendent. Sa construction narrative n'a guère d'équivalents au sein de la production de l'époque et pour peu que l'on découvre le film sans rien en savoir, son déroulement est plus que surprenant. Et pourtant, So dark the night est un film qui ne fonctionne pas. Le film se passe en France, dans une de ces France les plus hollywoodiennes et les plus difficiles à prendre au sérieux qu'on ait pu voir au cinéma : seconds rôles affables, aubergiste mangeant pain et fromage, décors champêtres... La grande majorité des acteurs parle avec un épouvantable faux accent français, et la présence de quelques vrais français dans le tas accentue le décalage avec le reste de la distribution. La dimension psychologique énormément exploitée par le scénario se heurte à une distribution qui oscille entre le pittoresque ridicule et un héros interprété sans conviction par Steven Geray. Il y a un véritable manque d'incarnation et le film demeure un objet théorique qu'on regarde trop distancié faute de pouvoir s'impliquer un tant soit peu.
La première demi-heure nous montre comment une sorte de Maigret est poussé à prendre des vacances par ses supérieurs, puis comment il y rencontre Nanette et tombe amoureux d'elle. Ainsi, on croit d'abord faire face à un drame sentimental quand le triangle amoureux s'installe, d'autant plus que l'attitude de Nanette envers les deux hommes est ambiguë. Puis démarre l'enquête policière, d'abord assez classique avant que les dix dernières minutes ne basculent dans une sorte de climat fantasmagorique très audacieux. La greffe ne prend malheureusement pas et le mélange des genres n'empêche pas qu'aucune des parties ne fonctionne : la romance est dénuée d'intensité, l'enquête n'a guère d'intérêt et si la fin est de loin ce que le film contient de plus marquant, elle est relativement incohérente eu égard au reste du film. C'est d'autant plus dommage que Lewis trouve par moments une inspiration visuelle proche de celle de ses grands films noirs Le Démon des armes ou Association criminelle (le cadrage à travers la vitre ou celui derrière le feu de cheminée, le plan fixe sur Steven Geray ou le changement d'éclairage vient illustrer un état d'esprit perturbé) montrant qu'en aucun cas le ratage du film ne saurait s'expliquer par le désintérêt de son réalisateur.
On a l'impression que So dark the night est un grand film sur le papier dont la transposition à l'écran n'est jamais à la hauteur des ambitions affichées. En soi, le thème de l'aliénation et de l'impuissance du personnage principal avaient largement de quoi séduire mais ils se heurtent au traitement bâclé du scénariste et au jeu médiocre de Geray. Certains éléments semblent uniquement présents pour apporter quelque chose de loufoque (le bossu sorti tout droit d'un Frankenstein et n'ayant aucun rôle actif) et la manière dont Cassin résout l'enquête dénote une grande paresse dans l'écriture. On comprend facilement l'emballement autour d'un film réalisé par un des maitres de la série B, cinéaste par ailleurs très intéressant, mais à le juger isolément pour ce qu'il est So dark the night laisse malheureusement une impression de grande déception, d'autant plus qu'il est souvent catalogué parmi les films noirs et qu'il ne saurait s'inscrire dans ce registre (quand bien même il en emprunte certains archétypes ou certains motifs visuels). Reste que le travail visuel est suffisamment intéressant pour nuancer un jugement trop sévère, faisant la différence entre Joseph Lewis et bien des tâcherons hollywoodiens.
mardi 24 février 2015
Angel Terminators 2 (Wong Chun-Yeung, 1993)
Sibelle (Sibelle Hu) et son ami Bao (Jason Pai) forment un redoutable tandem de policiers. La fille de Bao, Bullet (Yukari Oshima) sort de prison mais refuse de parler à son père, préférant rejoindre ses amis parmi lesquels Chitty (Moon Lee). Le petit groupe vole les bijoux du redoutable Mad qui décide se se venger impitoyablement.
Commençons par quelques mots à propos du réalisateur Wong Chun-Yeung : il semblerait que celui-ci ne soit autre que le cinéaste Tony Liu qui travailla notamment pour la Shaw Brothers. Son nombre conséquent d'alias rend sa filmographie légèrement nébuleuse, mais ses girls with guns sont parmi les plus réputés au point que certains spécialistes le surnomment le Kubrick du genre (l'un de ses pseudos fut d'ailleurs Kubrick Wong ! ). Au vu d'Angel Terminators 2, ce surnom est évidemment immérité et on rapprocherait plus Wong d'un metteur en scène comme Jack Hill, qui avait su au sein d'univers codifiés comme celui de la blaxploitation (Coffy) ou du film de gangs (Switchblade Sisters) donner des films bien plus regardables que la moyenne. Évidemment, le fait de réunir les trois grandes cogneuses de bonhommes qu'étaient Sibelle Hu, Yukari Oshima et Moon Lee pourrait à lui seul justifier le coup d’œil, d'autant plus que leurs aptitudes martiales sont très bien mises en valeur.
On trouvera sensiblement autant de motifs de satisfaction en ce qui concerne le rythme que de raisons de se lamenter contre le scénario, beaucoup trop évident avec son conflit familial attendu, ses personnages masculins maladroits et ses méchants très très méchants (on croyait échapper aux habituels gweilos patibulaires mais les fourbes débarqueront à dix minutes de la fin pour complexifier la tache des héroïnes) ; la caractérisation générale des protagonistes est plus schématique que celle d'Angel Terminators et une partie des seconds rôles (l'oncle de Moon Lee, son compagnon Turkey, le méchant joué par Karel Wong) n'échappe pas à un cabotinage qui reste toutefois supportable. Faute donc de bénéficier d'une écriture un tant soit peu conséquente, Angel Terminators 2 offre largement la dose d'action requise. A peine le film a t-il commencé qu'on y voit Sibelle Hu et Jason Pai se jeter sans hésitation au milieu d'une prise d'otages. On découvrira vite que le commanditaire des gangsters est également un proxénète qui s'attaquera à une amie de Yukari Oshima et de Moon Lee, entrainant le binôme à affronter sbires après sbires jusqu'à une explosion rageuse de Yukari qui foncera sur lui armée d'une machette. Les dix dernières minutes déchainées font forte impression avec un corps à corps rageur entre Moon Lee et Sophia Crawford ou le mitraillage de Sibelle Hu habillée comme Chow Yun-fat chez John Woo tandis que le dernier plan, très punk, conclue idéalement le film.
Sur le plan martial, on n'atteint pas tout à fait le niveau d'un Tiger Cage 2 mais il y a tout ce qu'il faut en terme de diversité, de saltos improbables et de lancers de cocktails molotov pour faire illusion. On trouvera également quelques moments de creux épisodiques (les dix minutes entre la charge de Yukari et le combat final, le milieu du film où la situation semble stagner) mais ceux-ci sont plus rares que dans la majorité des girls with guns. Quant aux inévitables synthétiseurs, à la photo peu travaillée ou à l'humour quelque peu lourdaud, les amateurs des polars de l'ex-colonie savent certainement à quoi s'attendre, Angel Terminators 2 ayant au moins pour lui un montage efficace des scènes d'action. En ce qui concerne les actrices, c'est certainement Sibelle Hu qui parait ici la plus convaincante, Yukari Oshima abusant des moues boudeuses et Moon Lee pâtissant d'un personnage plus faible que ceux de ses consœurs. Un plaisir coupable donc, légèrement supérieur au premier volet avec lequel il n'entretient aucune réelle parenté narrative ; Angel Terminators 2 n'est pas le plus marquant des polars sortis à l'époque mais il a pour lui son efficacité et sa modestie artisanale.
dimanche 22 février 2015
Le Géant de la vallée des rois (Carlo Campogalliani, 1960)
L’Égypte antique est dominée par les perses. Le pharaon est assassiné par sa femme Smedes (Chelo Alonso) qui épouse ensuite son beau-fils pour le maintenir sous sa coupe. Un convoi perse est attaqué par Maciste (Mark Forest) qui libère les esclaves ; Maciste devient alors l’emblème de la lutte contre la nouvelle reine.
Première aventure parlante de Maciste - un temps connu en France sous le nom du " Géant " - réalisée par le vétéran Carlo Campogalliani âgé à l'époque de 75 ans ! Cependant, le cinéaste connaissait son sujet puisqu'il avait déjà réalisé des Maciste du temps du cinéma muet, d’où un film en forme de résurrection d'un mythe abandonné. Comme une autre production ayant initié toute une vague d'aventures en sandales - Les Travaux d'Hercule -, Le Géant de la vallée des rois est écrit par le scénariste Ennio de Concini ici moins inspiré. L'histoire se révèle simple pour ne pas dire simpliste (des méchants perses, une reine encore plus méchante, des égyptiens révoltés qui trouveront avec Maciste un héros capable de les défendre) et les dialogues d'une solennité plombante. Le film a pour lui deux bons points : une certaine cruauté graphique notamment les tortures lors de l'introduction, et un rythme relativement tenu dans la mesure ou les moments herculéens de notre nouvel héros se font plutôt réguliers : Maciste tue un lion à mains nues, sauve un chantier en perdition, libère un convoi d'esclaves, affronte des crocodiles... Si comme Les Travaux d'Hercule il est doté d'une certaine rigueur dont ses successeurs ne pourront pas tous se prévaloir, son classicisme et son manque d'excès le met directement en concurrence - défavorable - avec les productions américaines, et Le Géant de la vallée des rois rappelle parfois ces westerns spaghettis encore soumis à la tutelle hollywoodienne, pas forcément mauvais mais rarement marquants.
La principale différence entre Maciste et Hercule réside dans leur origine sociale : Hercule est un demi-dieu tandis que Maciste est systématiquement présenté comme issu de la classe populaire. Cela n'a généralement qu'une importance limitée puisque l'un comme l'autre sont dotés d'une puissance physique sans égal et qu'ils luttent de la même manière contre l'oppression ; on remarque en revanche que si Hercule était au moins à ses débuts plutôt limité au cadre gréco-romain, Maciste - égyptien ici - aura quant à lui dès le départ cumulé les actions dans des pays exotiques. L'interprétation de Mark Forest en Maciste est plutôt décevante dans la mesure ou celui-ci avait été dans La Vengeance d'Hercule l'un des plus convaincants interprètes du surhomme avec Steeve Reeves ; privé des tourments intérieurs et du conflit familial dont l'avait affublé Cottafavi, l'acteur semble ici beaucoup plus interchangeable. En revanche, la superbe Chelo Alonso est une des meilleures " reines cruelles " avec Gianna Maria Canale et sauve les moments de tête-à-tête avec notre empoté Maciste par son charme.
Il est étonnant de constater qu'en dépit de sa longue expérience cinématographique, Carlo Campogalliani ne convainc pas vraiment comme metteur en scène. Le montage de l'attaque du lion par exemple est totalement raté : on passe d'un plan sur le félin menaçant à un autre sur Hercule étranglant l'animal. Certaines idées sadiques comme le char équipé de lames envoyé au milieu d'esclaves aux yeux bandés sont filmés depuis une bien trop grande distance pour que l'effet soit réellement percutant. L'assistant " comique " de Maciste est assez pénible mais on a connu bien pire dans ce registre, les autres étant encore une fois vus et revus (la jeune esclave aux yeux enamourés dès qu'elle aperçoit Mark Forest, le jeune prince ami de Maciste manipulé par Chelo Alonso). Le Géant de la vallée des rois n'est guère mémorable mais fait figure de merveille lorsque l'on repense aux derniers Hercule.
samedi 21 février 2015
La Chevauchée des bannis (André De Toth, 1959)
Blaise Starrett (Robert Ryan), un éleveur, vit au sein d'un petit village enneigé du Wyoming. Le fermier Hal Crane dont la femme Helen (Tina Louise) fut la compagne de Starrett pose des barbelés autour de sa propriété, entrainant un violent conflit. L'arrivée d'un groupe de criminels menés par le capitaine Jack Bruhn (Burl Ives) va contraindre les adversaires à s'entendre.
Parmi les nombreux mythes issus du western, celui du nettoyeur de villes est un des plus ambigus et donc des plus intéressants. Starrett a par le passé rendu de grands services aux fermiers en éliminant des hors-la-loi, mais une fois la ville pacifiée il n'est plus qu'un poids mort que la communauté juge indésirable. Les bandits commandés par Bruhn ne viennent pas interrompre la quiétude d'une paisible bourgade, au contraire ils arrivent quelques secondes avant qu'une fusillade n'éclate, et ce n'est que face à un nouvel ennemi commun que Starrett et ses voisins peuvent se réconcilier. Mais là ou De Toth apparait comme extrêmement audacieux, c'est que derrière l'optimisme de façade de sa conclusion se cache une fin plus implicite : la menace éliminée, Starrett sera probablement de nouveau mis à l'écart de la société et sa victoire apparente cache en réalité une condamnation à l'exil et à la solitude. La Chevauchée des bannis n'est pas des films dont le nihilisme est le plus apparent mais il cache en son fond une incroyable tristesse, la femme aimée de Starrett lui échappant qui plus est du début à la fin du film.
Il y a dans La Chevauchée des bannis une écriture des personnages absolument formidable. Starrett n'est certainement pas un héros extrêmement sympathique : l'introduction le montre aigri, maussade, bourru et il ressemble à un cousin tout aussi solitaire de l'Henry Fonda de L'Étrange incident (les points communs avec certains films de Wellman sont nombreux, De Toth montrant par exemple la neige avec une sécheresse similaire à celle avec laquelle le réalisateur de La Ville abandonnée filmait le désert). Le conflit avec les fermiers est loin d'être manichéen, a fortiori lorsque l'on comprend que l'envie d'en découdre de Starrett est avant tout motivée par le souhait de retrouver son ancienne fiancée. Au contraire, Burl Ives est un méchant d'une grande profondeur psychologique, tentant de protéger la ville des exactions de ses hommes (il est symptomatique qu'au lieu de chercher à tuer le chef des bandits, Starrett s'acharne à le maintenir en vie tant il sert de soupape de sécurité). La galerie de faces peu attirantes composant son équipe tient d'ailleurs plus du film noir que du western avec notamment un duo de psychopathes excellemment incarnés par Jack Lambert et Lance Fuller, mais aussi une recrue plus jeune se rapprochant progressivement des fermiers.
Une dizaine d'années avant Le Grand silence qui demeure le plus beau film de Sergio Corbucci, De Toth montrait la rudesse de la neige, la difficulté de vivre dans un tel cadre. A cet égard le règlement de comptes final tient doublement du génie : d'abord parce qu'il est absolument anti-spectaculaire (aucun duel, aucun coup de feu), ensuite parce qu'il offre des plans absolument saisissants comme celui du visage gelé de Lance Fuller ou encore celui de Jack Lambert à bout de force, tentant de rassembler le peu d'énergie qui lui reste pour faire un pas. On notera également une superbe scène de bal durant laquelle la caméra effectue un interminable panoramique, passant du visage des danseuses (terrifiées) à ceux des hors-la-loi déformés par la concupiscence. Le suspens y atteint son paroxisme puisque de nombreux conflits latents semblent à deux doigts d'exploser : Pace et Starrett, Tex et Gene, le capitaine Bruhl et l'ensemble de ses hommes... Pratiquement chacun d'entre eux est une bombe à retardement, une simple phrase lors de la présentation du cheyenne ( " il déteste les hommes blancs mais aime les femmes blanches " ) nous faisant comprendre que derrière son mutisme, il est tout aussi redoutable que Tex ou Pace. A cet égard, il est peut-être légèrement dommageable que la deuxième partie simplifie un peu trop ses enjeux en réduisant le tout à une lutte entre Starrett et les tueurs, mais ce minuscule défaut ne saurait faire oublier que La Chevauchée des bannis est une merveille du western, un des plus beaux films d'André De Toth aux côtés de Pitfall et Chasse au gang.
jeudi 19 février 2015
Sentence de mort (Mario Lanfranchi, 1968)
Cash (Robin Clarke) se lance à la poursuite des quatre assassins de son frère : Diaz (Richard Conte), un tueur devenu propriétaire d'un ranch, Montero (Enrico Maria Serno), un joueur de poker, frère Baldwin (Adolfo Celi), un religieux à la tête d'une horde de fanatiques, et O'Hara (Tomás Milián), un albinos fou furieux.
En dépit de la critique élogieuse faite par Jean-François Giré, on se rangera une fois n'est pas coutume du côté de Laurence Staig et Tony Williams qui considèrent Sentence de mort comme un film médiocre. Celui-ci se compose de quatre parties pratiquement autonomes, simplement reliées par la vengeance de Cash sans qu'aucune transition réelle ne soit effectuée. D’où un sentiment de grande maladresse dans le montage, car si on comprend bien que Lanfranchi - ancien réalisateur d'opéra - a tenté d'expérimenter sur ce plan afin de sortir Sentence de mort de son cadre un peu étriqué qu'est celui du western vengeur, il n'y a jamais de réelle cohérence dans l'emploi de faux raccords, de projet venant à justifier leur utilité. Deux personnages discutent puis subitement, l'un d'eux agonise une rue plus loin ; la poursuite dans le désert devient ainsi totalement incompréhensible et on se demande fréquemment si il ne s'agit pas une copie horriblement mutilée tant l'on semble parfois faire face à un demi-film, le tout culminant lors de la scène de torture par les fanatiques religieux dont notre héros se relève totalement fringuant, abat le prêtre sans difficulté et se retrouve téléporté à la poursuite de sa victime suivante avant que le spectateur ait eu le temps de souffler.
Tout le monde s'accordera à juger la prestation de Robin Clarke extrêmement faible ; le réalisateur semble s'intéresser d'avantage au quatuor de bandits qu'à son héros falot dont les motivations sont par ailleurs vues et revues. Chacun des quatre segments adopte un ton, une esthétique différente. La première est une traque dans le désert qui renvoie à Tuco torturant Blondin dans Le bon, la brute et le truand. La seconde nous dévoile une partie de poker durant laquelle le héros ruine impitoyablement son adversaire (Et pour quelques dollars de plus ? ) ; la troisième semble un peu plus originale avec ses fanatiques vêtus de noir comme dans Tire encore si tu peux tandis que le climat fantasmagorique de la dernière convoque les films d'Antonio Margheriti.
Les deux premiers chapitres représentent un tunnel d'ennui tant ces scènes sont classiques et ont été par le passé présentées de manière bien plus convaincante. L'amusante prestation d'Adolfo Celi rend la suivante légèrement distrayante mais sa conclusion en dépit du bon sens vient ternir la (très relative) bonne impression laissée. Reste donc le combat entre O'Hara et Cash, où un réel travail esthétique et surtout le cabotinage éhonté de Tomás Milián viennent retenir l'attention. Dans son rôle d'albinos obsédé par les femmes blondes et par l'or, l'acteur effectue un grand numéro d'hystérie qui n'a guère de rival que celui de Klaus Kinski dans Priez les morts, tuez les vivants ; et faute de représenter un quelconque aboutissement cinématographique, cette séquence a pour elle d'être la seule réellement mémorable de tout le film.
On passera rapidement sur l'atroce bande-originale jazzy de Gianni Ferrio, qui vient nous rappeler que le charme de bien des westerns transalpins provenait en partie des scores de Morricone ou Bacalov. On peut également déplorer que les motifs de la vengeance soient présentés par un flashback au bout d'à peine dix minutes, là où Le Grand duel ou La Mort était au rendez-vous égrenaient des indices au fur et à mesure jusqu'à une résolution finale représentant un climax véritablement efficace. Sentence de mort est un très mauvais western spaghetti dont la bonne réputation nous apparait difficilement compréhensible tant l'exercice de style semble prendre le pas sur la dramaturgie et l'efficacité. Dix minutes d'un acteur génial en roue libre ne sauraient dès lors sauver du naufrage une entreprise aussi vaine que prétentieuse.
mercredi 18 février 2015
Mister Freedom (William Klein, 1969)
Le super-héros le plus réputé des États-Unis, Mister Freedom (John Abbey) est envoyé en France où son ami Capitaine Formidable a été assassiné. Freedom rencontre sa veuve Marie-Madeleine (Delphine Seyrig) qui lui annonce que la France subit les influence néfastes de Moujik Man (Philippe Noiret) et Red China Man, les ennemis de Mister Freedom.
Le résumé peut laisser penser à un immense moment de n'importe quoi généralisé, à un film qui serait aux comics ce que Docteur Folamour était au péril atomique. Il y a pourtant dans Mister Freedom quelques idées qui avaient le potentiel de déclencher l'hilarité : le péril jaune incarné par " Red China Man ", un dragon de carnaval chinois ; l'accent russe de Philippe Noiret en Moujik Man, et ses sbires communistes chantant l'internationale, ou encore l'arrivée de Jésus Christ venu donner un coup de main à Mister Freedom. Malheureusement ces bonnes intentions se noient dans un tunnel d'ennui qui s'explique très facilement : d'abord, John Abbey livre une prestation calamiteuse, et que la responsabilité lui incombe ou soit liée à une direction d'acteur déficiente, l'acteur semble totalement à côté de la plaque ; ensuite le scénario patauge et au bout d'une heure, il ne s'est pratiquement rien passé de notable. Enfin, la mise en scène de Klein est à peine digne d'un téléfilm bas de gamme : plan-séquences mal cadrés ou les figurants semblent livrés à eux-mêmes, zooms brouillons, dialogues interminables filmés sans la moindre inventivité... On aurait pu pardonner au réalisateur toutes ces lacunes formelles pour peu qu'il soit parvenu à offrir le quota de rire attendu, or Mister Freedom n'est jamais à la hauteur de son synopsis.
L'idée générale est donc de présenter une sorte d'anti-super-héros, un crétin suffisant, paranoïaque et dont les méthodes l'apparentent moins à l'idéal de liberté dont il se réclame qu'au fascisme. Freedom tire sur la foule, défenestre un laveur de carreaux, se lamente contre la présence de noirs aux États-Unis, rase la moitié du pays pour lutter contre d’infâmes bolcheviks qui en comparaison apparaissent bien inoffensifs. Une fois qu'il est apparu évident que le personnage représente une dérive impérialiste résolument totalitaire, le malheur est que Freedom n'est jamais rien d'autre qu'un tueur doublé d'un bouffon. Les deux OSS 117 de Michel Hazanavicius réussissaient tout en caricaturant une certaine littérature de gare à rendre Jean Dujardin attachant malgré sa franchouillardise et sa prétention afin que le spectateur puisse éprouver des émotions contradictoires. Ici, il n'y a aucun trait de caractère positif chez Freedom qui demeure pendant une heure et demie un sale type détestable, dont les réactions surprennent les cinq premières minutes mais sont parfaitement attendues par la suite. La vision de l'Amérique est ainsi ultra-caricaturale : violente, manipulatrice, irrespectueuse de la culture des autres et capable d'exterminer tout un peuple au nom de son sacro-saint idéal, elle empoisonne également ses alliés par sa société de consommation et sa culture de masse abêtissante. La discussion avec Super French Man met en exergue l'un des aspects les plus pénibles de l’œuvre : son didactisme, qui fait que si la charge politique est évidente, elle empêche Klein d'aligner dans tout son film le moindre gag digne d'une bonne planche de Superdupont.
On aurait aimé apprécier Mister Freedom et partager l'enthousiasme de certains laudateurs de Klein, d'autant plus que les super-héros n'ont pratiquement jamais été abordés dans le cinéma français. Cependant, Mister Freedom tient beaucoup moins de la curiosité loufoque que du pensum lourdingue, et l'adhésion au film nécessiterait à la fois d'accepter une mise en scène et une direction d'acteur calamiteuses, et d'adhérer au propos général résolument anti-américain ainsi qu'au " comique " extrêmement daté et laborieux mis en place. Pour le coup, on passera notre tour sans regret en dépit d'une belle brochette de seconds rôles (Pleasance, Noiret, Gainsbourg, Yves Montand en Capitaine Formidable).
mardi 17 février 2015
Le Poids de l'eau (Kathryn Bigelow, 2000)
Jean (Catherine McCormack) et son mari Thomas (Sean Penn) sont invités par Rich (Josh Lucas), le frère de Thomas, à prendre des vacances sur son bateau. Durant la traversée, Jean se découvre une véritable fascination pour un fait divers ayant eu lieu en 1873 : deux immigrantes norvégiennes avaient été assassinées et le témoignage de Maren (Sarah Polley) avait conduit à la condamnation d'un marin, Louis Wagner.
L'un des films les plus méconnus de Kathryn Bigelow, sans doute son plus personnel et de loin le plus raté. On peut louer le courage de la réalisatrice pour s'être attaquée à un sujet qui rappelle plus Jane Campion que ses polars testostéronés, mais on se rend rapidement compte que Bigelow n'est absolument pas la femme de la situation et qu'elle se révèle extrêmement mal-à-l'aise dans ce registre plus intimiste. Tout le film est monté en parallèle entre les deux intrigues : d'une part celle des quatre personnes sur le bateau où l'on constate la déliquescence du couple formé par Catherine McCormack et Sean Penn, et d'autre part celle en 1873 durant laquelle la jeune Maren accuse Louis Wagner d'avoir assassiné sa sœur et sa belle-sœur. Ces deux parties auraient déjà été pénibles montées séparément (surtout celle au présent qui semble sortir d'un roman de gare), mais en étant sans cesse interrompues l'une par l'autre, elles vident leurs personnages respectifs de toute force émotionnelle. A peine commence t-on à s'intéresser aux relations entre Maren et son entourage que l'on doit retourner sur le voilier où la pauvre Catherine McCormack en est réduite à regarder son mari loucher sur la dernière petite amie de son frère.
Au-delà de la lourdeur du procédé, l'autre problème de la narration vient du fait que le parallélisme entre les deux récits n'est guère évident. Si les deux femmes partagent quelques points communs (jalousie, frustration, une certaine passivité) il est difficile de comprendre l'obsession que voue Catherine McCormack à l'histoire de Mabel ; et si les deux segments se rejoignent lors des cinq dernières minutes, leur fusion est très loin d'apporter une conclusion satisfaisante. De manière générale, il y a un énorme déficit d'écriture des personnages secondaires qui ne sont que d'écrasants stéréotypes : Louis Wagner est un obsédé sexuel brutal, Sean Penn un poète tourmenté dépressif, Elizabeth Hurley une playmate aguicheuse tandis que le mari, le frère ou la sœur de Maren sont effroyablement plats, dénués de relief. Certains aspects intéressants sur le papier sont amputés par leur traitement : le double meurtre dans l'histoire de Mabel, d'abord présenté dans sa version " officielle " puis sa version " réelle " est plutôt bien mis en scène mais on est loin de l’utilisation virtuose des versions alternatives dont faisait preuve Brian De Palma pour Mission : Impossible, par exemple. Il y a ici et là de beaux plans, de belles images mais qui ne parviennent jamais à former un tout un tant soit peu cohérent et harmonieux.
Au moins l'histoire de Maren, peu captivante au départ, gagne en intérêt au fur et à mesure et bénéficie de la belle performance de Sarah Polley. L'autre s'embourbe dans un symbolisme lourdaud (Elizabeth Hurley qui matérialise l'amour de jeunesse disparu de Sean Penn, la scène ou celui-ci tente de faire l'amour à sa femme au milieu des archives qui " parasitent " l'acte), d'autant plus que Penn n'est guère crédible en poète mystérieux. S'ajoute à tout cela une insupportable - d'autant plus qu'omniprésente - soupe auditive signée David Hirschfelder qui mérite sa place au panthéon des bande-originales les plus irritantes. En résumé, si certains des premiers films de la réalisatrice méritent d'être réévalués (The Loveless et surtout Blue Steel sont rarement perçus à leur juste valeur) ce Poids de l'eau constitue bel et bien l'unique vrai ratage de la cinéaste, le film où son style s'avéra dramatiquement inadapté à son histoire. Son échec combiné à celui de K-19 : Le piège des profondeurs conduira Bigelow à une longue traversée du désert dont elle sortira brillamment avec Démineurs.
vendredi 13 février 2015
Elle s'appelait scorpion (Shunya Itô, 1972)
Nami (Meiko Kaji) alias Sasori a été de nouveau capturée. Le directeur de la prison (Fumio Watanabe) exhibe une Sasori soi-disant mâtée à un officiel lors d'une visite, mais elle tente d'assassiner celui-ci. Peu après Sasori s'évade en compagnie de six autres prisonnières mais la mauvaise entente entre les femmes rend leur fuite extrêmement difficile.
Le plus connu des Sasori est certainement l'un des plus beaux films d'exploitation nippons des années 70, aux côtés du premier Lady Snowblood et de Baby Cart 2 : L'enfant massacre. Toutes les qualités du premier volet sont encore amplifiées, que ce soit sur le plan visuel ou scénaristique. Il ne s'agit donc plus d'un pur film de prison puisque les prisonnières s'échappent rapidement, mais d'un survival dans lequel les évadées échouent du fait de leur incapacité à faire front commun. Alors que Nami la rebelle devrait mener le camp des insoumises, elle est au contraire systématiquement mise de côté ou violentée par les autres. Le fait que les femmes ne soient pas idéalisées renforce le propos féministe qui comme pour le premier opus s'exprime parfois de manière originale : un ancien militaire vante ainsi les mérites de la guerre pour pouvoir violer sans subir de conséquences, récit qui motivera un trio de voyageurs à s'en prendre à l'une des évadées. Itô fait ainsi preuve d'une radicalité politique évidente - rappeler les atrocités commises par le Japon lors de l'invasion de la Chine est quelque peu tabou au sein de l'archipel - tout en montrant la difficulté des femmes à s'unir lorsque leur situation le nécessite (il est symptomatique que la seule prisonnière qui semble apprécier Nami soit tuée rapidement).
Sur le plan visuel, Itô a encore progressé depuis La Femme scorpion et c'est un festival d'idées formelles qui nous est proposé. L'histoire des prisonnières est ainsi contée par une sorcière qui semble sortie du Château de l'araignée de Kurosawa ou d'un film de fantômes japonais (on se rend d'ailleurs compte qu'en dépit du fait que les femmes ont commis des crimes abominables, la plupart d'entre eux découlent de la cruauté masculine). L'évasion finale de Nami contient un plan gore absolument saisissant dans lequel un gardien empalé sur une roue fait tourner celle-ci et si le film n'est pas avare en effets sanglants, le caractère surréaliste dans lequel il baigne transforme la gratuité en poésie - voir la jeune femme tuée symbolisée par la transformation de l'eau du fleuve en sang -. La conclusion touche d'ailleurs au sublime : là ou le film aurait pu se terminer par la confrontation entre Nami et le directeur de la prison, Itô vient rajouter une dernière scène où des dizaines de prisonnières courent dans les rues d'un Tokyo désertifié, le relais qu'elles se passent l'une à l'autre étant le poignard de Nami dans ce qui demeure l'une des plus belles séquences d'appel à l'insoumission. On notera également la mort de la chef des rebelles sur un tas d'ordures qui apparait comme une déclinaison exploitationniste de la fin du Cendres et diamants d'Andrzej Wajda.
Il serait injuste de ne pas mentionner la fabuleuse prestation de Meiko Kaji, certainement l'une des plus abouties de sa carrière. De peu loquace dans le premier épisode, la belle devient ici pratiquement muette et n'aura en tout et pour tout que deux répliques dont la première est prononcée au bout d'une heure, scellant la condamnation à mort de ses comparses. Plus que jamais l'actrice dégage une force, un charisme qui n'ont guère d'équivalents ; une cuillère devient entre ses mains (ou plutôt entre ses dents) un instrument de mort et un simple regard peut faire vaciller ses plus farouches ennemis. Il y a dans la mise en scène d'Itô une synthèse inédite et pourtant très efficace entre l'horreur gothique représentée par Mario Bava ou la Hammer (au Japon, leur cousin le plus évident semble Nonuo Nakagawa qui réalisa en 1960 un L'Enfer ultra-stylisé) et l'univers du women in prison. Parce qu'il s'agit d'un de ces quelques films qui est tout aussi audacieux dans sa mise en scène que dans son discours, Elle s'appelait scorpion doit impérativement être vu, y compris par les spectateurs les plus sceptiques envers le cinéma d'exploitation.
Avere vent'anni (Fernando Di Leo, 1978)
Tina (Lilli Carati) et Lia (Gloria Guida), deux très belles jeunes femmes, se rencontrent sur une plage et décident de faire du stop ensemble. Elles rejoignent un petit groupe de marginaux conduits par Nazariota (Vittorio Caprioli) mais demeurent insatisfaites. Nazariota leur demande de prostituer en échange d'un logement.
Même si les polars de Fernando Di Leo (Milan Calibre 9, L'Empire du crime) ont fini par trouver dans nos contrées quelques ardents défenseurs, Avere vent'anni n'entretient pas de rapport évident avec les œuvres les plus connues de son réalisateur, pas plus qu'avec les genres en vogue à l'époque. On pourrait le résumer sommairement comme un Easy Rider féminisé et (très) érotisé avant que son dernier quart d'heure ne vire en remake de La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven. Nous passons donc une heure et demie en compagnie Lia et Tina, deux jeunes femmes délurées qui cherchent de la compagnie masculine ; à l'exception d'un intermède plus tendre avec un fonctionnaire retraité, elles iront de déceptions en énervements. Les hippies vivant dans la communauté sont drogués et totalement apathiques, le professeur obsédé sexuel se fait ridiculiser par Tina et finalement, elles trouveront plus de plaisir ensemble qu'avec les différents hommes rencontrés.
Il est très difficile de percevoir les velléités politiques de Fernando Di Leo tant celles-ci sont nébuleuses - et le mot est faible -. Tina et Lia sont en quête d'un idéal libertaire que la contre-culture n'est clairement plus en mesure de leur offrir : Nazariota ne se sert d'elles que pour rapporter des fonds à la communauté, que ce soit en les prostituant ou en les utilisant comme vendeuses. Si les hippies sont croqués sans la moindre complaisance (voir le personnage grotesque de Riccetto qui s'avère être en plus un complice du pouvoir), la police est montrée comme hypocrite et corrompue à l'instar des divers personnages moralisateurs (le professeur, les deux femmes dans la voiture) ; comme dans le Orange mécanique de Kubrick, les deux idéologies opposées sont renvoyées l'une contre l'autre avec autant de sécheresse. Malgré leurs défauts, Tina
et Lia restent les seules personnes envers lesquelles on peut avoir un minimum d'empathie dans la mesure ou leur attitude semble plutôt inoffensive en comparaison de tous les reproches qu'on leur adresse. Di Leo s'avère encore plus ambigu dans la mesure où les jeunes femmes ne sont châtiées ni par les hippies ni par les policiers mais par un groupe de violeurs qui ne sont rien de plus que des quidams absolument banals. A cet égard, c'est la société italienne post-années 60 qui semble la cible la plus évidente de la vindicte du réalisateur, une société dont les utopies alternatives ont échoué et dans laquelle le conflit entre traditionalisme et modernité peut aboutir à une violence inouïe.
La mise en scène de Di Leo se fait beaucoup moins précise que dans ses polars et adopte une forme de naturalisme refusant la stylisation. Ce choix fonctionne plutôt bien dans la mesure où il est absolument nécessaire de faire accepter au spectateur des personnages envers lesquels on n'éprouve pas d'empathie immédiate. Néanmoins, comme dans la majorité des films adoptant une narration assez relâchée ou les scènes se succèdent sans avoir de lien immédiat, certains moments tirent en longueur comme la confrontation au commissariat ou la rencontre entre Lia et la femme lesbienne qui la prend pour une prostituée.
Avere vent'anni est un film absolument étonnant, unique, imparfait mais d'une force peu commune qui transforme une sexy comédie (sous-genre dont Gloria Guida et Lilli Carati étaient deux vedettes) en film d'horreur social avec une violence qui laissera plus d'un spectateur sur le carreau. Plus encore que Craven, Di Leo se fait le chroniqueur désabusé de la mort de la contre-culture et prouve au passage qu'il n'était pas qu'un petit réalisateur de polars, mais un excellent cinéaste tout court.
mercredi 11 février 2015
Tombe de yakuza et fleur de gardénia (Kinji Fukasaku, 1976)
Kuroiwa (Tetsuya Watari), un policier aux méthodes brutales, arrête deux jeunes yakuzas puis sympathise avec eux. Il devient un allié du clan Nishida, un rival pour l'impulsif Taureau (Tatsuo Umemiya) et plus tardivement l'amant de Keiko (Meiko Kaji), la femme d'un yakuza emprisonné. Mais la police a décidé la fin du clan Nishida.
Tombe de yakuza et fleur de gardénia est un bon film qui fut malheureusement réalisé en 1976, immédiatement après que Fukasaku a enchainé les merveilles (Le Cimetière de la morale, la série Combat sans code d'honneur, Police contre syndicat du crime dans une moindre mesure). Il reprend nombre d'éléments déjà vus ici et là dans les précédents films du réalisateur : la trame générale autour de la corruption policière et des liens amicaux avec les yakuzas est également celle de Police contre syndicat du crime. Le personnage de la prostituée soutenant le héros alors que celui-ci lui a fait du mal par le passé renvoie à Okita le pourfendeur et au Cimetière de la morale tandis que le conflit transformé en amitié puissante qui unit Kuroiwa et le Taureau nous rappelle aux bons souvenirs des Gunji et Kudo de Guerre des gangs à Okinawa. Tous ces éléments sont individuellement plaisants mais pratiquement aucun d'entre eux n'est traité avec la même force que par le passé ; à cet égard, la conclusion est décevante dans la mesure ou Kuroiwa ne semble purger aucune rage mais simplement accomplir mécaniquement une vengeance inutile. On ne retrouve pas la dimension sociétale des grands films fukasakiens où les yakuzas venaient représenter l'envers du décor du miracle économique nippon et privé de cette thématique politique, le film apparait ici plus routinier que ses modèles.
Un ratage donc que ce Tombe de yakuza et fleur de gardénia ? Évidemment non. Il n'est pas dénué de grands moments et parvient au moins à créer un personnage fort en plus d'être inédit chez le maître : Keiko, excellemment incarnée par Meiko Kaji, une femme yakuza d'origine coréenne qui devient la maitresse de Kuroiwa après avoir été rejetée par son mari en prison. Keiko est probablement l'une des figures féminines les plus réussies de la filmographie du réalisateur et forme avec Kuroiwa un couple attachant qui se forme autour d'une superbe scène de baiser sur une plage. Même si elle est moins originale, la complicité entre Kuroiwa et le Taureau fonctionne très bien, notamment parce qu'on comprend facilement leur similitude de caractère, chacun d'eux représentant un électron libre au sein d'un système normé (la police ou les yakuzas). L'ouverture durant laquelle le héros se fait passer pour un petit trafiquant pour pouvoir prendre en flagrant délit les truands joue très habilement sur l'image que renvoie Tetsuya Watari, acteur qu'on identifie immédiatement à un yakuza. On peut toutefois regretter que les deux jeunes lampistes que Kuroiwa laisse partir avant de devenir une sorte de grand-frère pour eux ne jouent pratiquement plus aucun rôle dans la seconde moitié du film.
Formellement, l'on fait face à un Fukasaku typique où tous les procédés emblématiques (arrêts sur image, caméra portées, cadrages penchés) répondent présent et sont employés avec le brio habituel du cinéaste. Le première règlement de comptes survient assez tardivement puisque l'on doit attendre une bonne demi-heure, mais son aspect imprévisible et sa sécheresse d’exécution font passer la pilule. Et si la charge anti-police était déjà bien exploitée dans Police contre syndicat du crime, elle est encore plus violente et plus frontale ici dans la mesure ou à l'exception du personnage principal, absolument tous les policiers apparaissent comme des ambitieux uniquement préoccupés par l'argent ou le souci de faire carrière (voir notamment le personnage joué par Hideo Murota détestable de par son opportunisme). D’où un film quelque peu mineur au sein de la riche filmographie de Fukasaku, mais parfaitement recommandable dans l'absolu.
mardi 10 février 2015
L'opération diabolique (John Frankenheimer, 1966)
Arthur Hamilton (John Randolph) reçoit de mystérieux coups de téléphone d'un ami décédé, qui le conduit à contacter une étrange organisation. On propose à Hamilton, contre une certaine somme d'argent, de simuler sa mort et de lui offrir un nouveau visage et une nouvelle vie sous le nom de Tony Wilson (Rock Hudson). Lassé de sa détresse conjugale, Hamilton accepte.
On a parfois critiqué L'opération diabolique comme étant un long épisode de La Quatrième dimension, et force est de constater que l'assimilation est fondée. On ne dévie jamais du concept initial (un quidam se voit offrir la " chance " d'une nouvelle vie), au départ quelque peu nébuleux avant qu'un scénario malin ne vienne progressivement égrener les détails significatifs jusqu'à une conclusion sidérante de noirceur. Peu de précisions sont données à propos du rôle des personnages secondaires ou de la mystérieuse entreprise, mais une surcharge psychologique aurait sans doute diminué l'efficacité d'un récit qui fonctionne beaucoup grâce à la paranoïa et à la perte de repères qu'il installe : très rapidement, Rock Hudson apparait comme incapable de s'intégrer dans sa nouvelle vie et se rend compte que celle-ci est totalement illusoire, façonnée par l'Organisation selon ce qu'elle croit que Hamilton souhaitait intimement. Les confrontations entre l'homme et l'entreprise sont par ailleurs parsemées d'un humour à la fois noir et absurde qui rappelle les meilleurs écrivains d'Europe de l'est.
Frankenheimer livre avec L'opération diabolique un film par moments presque expérimental, qui multiplie les effets de montage ultra-rapides, les angles de caméra improbables, les courtes focales sur des visages en perdition et même une surprenante snorricam quelques années avant que Scorsese ne l'utilise dans Mean Streets. Le problème réside dans le fait que la majorité des choix de mise en scène les plus audacieux sont concentrés durant la première partie, à l'image de l'extraordinaire générique de Saul Bass que tout cinéphile se doit de visionner ou de la séquence de l'étranglement cauchemardesque - par ailleurs assez artificiellement liée au reste du film -. Or, le propre d'un film paranoïaque est de créer un sentiment de menace qui s'accentue au fur et à mesure, là ou Frankeneheimer apaise légèrement sa mise en scène petit à petit et donc diminue quelque peu la pesanteur de l'ambiance ; le réalisateur admit d'ailleurs plus tardivement que l'excès de procédés formalistes avait nui à sa cohérence interne. La séquence beaucoup plus sobre durant laquelle Hamilton/Wilson rend visite à celle qui fut sa femme est ainsi un beau moment d'émotion, d'autant plus que le réalisateur a le courage de ne pas idéaliser rétroactivement la vie passée d'Hamilton. Il semble que pour Frankenheimer, la réalité aussi triviale et répétitive puisse t-elle être vaudra toujours mieux que les fantasmes de jeunesse éternelle promus par l'industrie.
Une des séquences les plus connues et les plus emblématiques de L'opération diabolique est certainement l'orgie durant laquelle Wilson et un groupe de hippies nus écrasent du raisin. En plus de sa longueur clairement excessive, elle est surtout assez nébuleuse quant au sens que le réalisateur souhaite lui donner. Wilson est initialement réticent à participer, puis finit par se joindre à la foule en délire et semble ainsi accepter sa nouvelle vie ; seulement à peine quelques minutes après, une scène de cuite - par ailleurs très réussie - vient au contraire exprimer frontalement le malaise du personnage, d’où un enchainement quelque peu confus. Au final, L'opération diabolique est un drôle d'objet hétérogène, parfois absolument génial et parfois laborieux ou frustrant. La radicalité de son propos et l'effort extraordinaire consenti par les collaborateurs de Frankenheimer (le vétéran James Wong Howe délivre une photographie absolument magnifique tandis que la musique de Jerry Goldsmith accentue le climat d'angoisse) tirent le film vers le haut et achèvent de faire de L'opération diabolique un film au capital sympathie certain, un précurseur inégal mais atteignant par instants une force peu commune.
lundi 9 février 2015
Angel Terminators (Wai Lit, 1992)
Ken (Kenneth Tsang), un parrain de la mafia, rentre à Hong-Kong après un exil en Thaïlande. Alors que la policière Ida (Sharon Yeung) est envoyée enquêter sur ses trafics, Ken s'en prend à son ancienne maitresse Carrie (Carrie Ng), en faisant pression sur le mari policier de celle-ci afin d'obtenir des informations.
Si Angel Terminators n'est certainement pas un film ayant durablement marqué l'histoire du cinéma, il n'en reste pas moins qu'il constitue une relative bonne surprise, surtout au sein d'un genre - le girls with guns - qui à l'instar du women in prison est plutôt avare en grands films. Pour commencer, le scénario n'est pas aussi mauvais qu'on pouvait le craindre et réserve quelques bonnes surprises ; l'héroïne n'est pas invincible et les moments ou une Sharon Yeung droguée par les méchants hurle pour avoir sa dose font forte impression. Les personnages ont un minimum de relief, qu'il s'agisse de l'indicatrice avec laquelle Yeung entretient une relation amicale ou du couple formé par Alan Chui et Carrie Ng, en passant par la méchante jouée par Michiko Nishiwaki qui cherche à venger son amant tué par les policiers. Il est simplement dommage que tout ceci soit un peu terni par un manichéisme pénible (le méchant joué par Kenneth Tsang se révélant de plus en plus abject au fur et à mesure) qui culmine lors d'une scène gratuite durant laquelle celui-ci urine sur le visage de Carrie Ng. La disparition des personnages d'Alan Chui et de Carrie Ng, les seuls à être un minimum ambigus, fait sombrer le récit dans un certain schématisme.
Les deux grandes qualités d'Angel Terminators résident dans son sens de l'action et dans son casting. Il n'y a pratiquement jamais plus de cinq minutes sans qu'une bagarre ne survienne et le film est particulièrement généreux sur ce plan. Le premier quart d'heure à lui seul voit s'enchainer la course poursuite en voiture marquant la fuite de Kenneth Tsang, une prise d'otages durant laquelle on découvre les capacités martiales de Sharon Yeung et Kara Hui, un affrontement entre la police et les sbires de Tsang et enfin un règlement de comptes entre mafieux où un rival est éliminé. Aucune des grandes stars du girls with guns - Moon Lee, Yukari Oshima - n'est présente ici, ce qui n'empêche pas la distribution d'être de bon niveau d'ensemble. Tout le casting féminin est impeccable, à la fois crédible lors des combats et lors des moments d'émotion qui fonctionnent (une exception : le surjeu des actrices lorsque Kara Hui pleure la disparition de Sharon Yeung). Côté masculin, si Kenneth Tsang parvient à donner du relief au mafieux relativement archétypal qu'il incarne, on n'échappe pas aux habituels gweilos patibulaires qui nous gratifient de leurs meilleures grimaces menaçantes. L'apparition finale de Dick Wei permet un combat spectaculaire et violent qui conclue efficacement le film.
Au-delà des problèmes typiques des séries B hongkongaises de l'époque (photographie un peu laide, musique désagréable avec synthétiseurs omniprésents, cadrages très approximatifs) Angel Terminators accuse également quelques carences sur le plan du montage, les enchainements étant parfois brouillon dans leur rapidité. Globalement, il s'agit d'un film plus appréciable pour son charme quelque peu daté, pour son énergie et ses acteurs que comme un véritable grand film de metteur en scène et même parmi les artisans ayant œuvré dans l'ex-colonie, on reste un bon cran en-dessous des meilleurs films de Ringo Lam ou Kirk Wong. Néanmoins Angel Terminators n'ennuie jamais et reste pour cette raison largement plus agréable que n'importe quel Iron Angels. Son aspect bricolé n'empêche pas qu'on se demande à plusieurs reprises combien de cascadeurs ont du finir à l’hôpital ; et en dépit de tous ses défauts cinématographiques, il constitue l'un des sommets - tout est relatif ! - d'un genre où il ne sera dépassé que par une petit poignée d’œuvrettes, au premier rang desquels figurera sa fausse suite Angel Terminators 2.
dimanche 8 février 2015
Goldocrack à la conquête de l'Atlantide (Alfonso Brescia, 1965)
Héraclès (Kirk Morris) erre dans le désert avant d'être sauvé par la reine Virna (Luciana Gilli). Plus tard, la troupe de Virna est attaquée et celle-ci enlevée par des hommes de métal contrôlés par Ramir (Piero Lulli). Heraclès et son ami Karr (Andrea Scotti) partent délivrer Virna et découvrent un palais habité par des survivants de l'Atlantide.
Impossible de chroniquer ce film sans lâcher quelques explications à propos de son délirant titre français : si les péplums transalpins sortaient généralement dans nos contrées environ un an après leur exploitation italienne, il est arrivé que près d'une décennie s'écoule (Maciste, le vengeur du dieu maya n'a débarqué en France qu'en 1973) voir dans le cas présent quinze ans. Ainsi, le film d'Alfonso Brescia sortit en pleine période Goldorak, l'opportunisme des distributeurs faisant le reste.
Pourtant, il s'agit bien d'un Hercule - ou plutôt d'un Héraclès -, joué par Kirk " Maciste " Morris tout aussi démotivé que de coutume. Le titre peut rappeler Hercule à la conquête de l'Atlantide de Cottafavi et pour cause, il en est une sorte de remake fauché qui exploite durant une bonne demi-heure le désert pour unique décor avant d'entrer dans le vif du sujet (ou plutôt de sombrer dans le n'importe quoi) lorsque notre joyeux binôme pénètre dans le luxueux palais atlante, composé d'au moins trois pièces dont une salle de contrôle avec quatre leviers et une roue qui tourne. Il va de soi que le méchant Ramir, interprété par un Piero Lulli sous substances illicites, n'hésitera pas à préciser à nos héros que son palais est construit sur un volcan (logique) et qu'il suffit de presser un levier pour que la pression soit dérégulée et que tout explose (évident), sage précision dont Kirk Morris saura se rappeler en temps voulu.
A peu près tout est catastrophique dans ce film, des scènes d'action chorégraphiées n'importe comment au design des atlantes en passant par des retournements de situation totalement stupides (les deux jeunes femmes atlantes qui sauvent Hercule et Karr parce qu'elles sont tombées amoureuses d'eux en quinze secondes) ou par la présence d'hommes d'acier qui rappellent ceux en or du Triomphe d'Hercule et qui constituent à eux seuls un très grand motif de rigolade grâce à leur combinaison moulante. On notera aussi le moment où Ramir, bien que possédant une sorte de sceptre laser désintégrateur, préfère charger Hercule armé d'un bout de bois tandis que la version française apporte un " comique " de situation absolument consternant ( " je suis l'émir Akulé " non mais franchement les gars... ). Mais quelque part, l'aspect science-fiction ringarde donne au film un micro-charme que ne possèdent ni les Hercule " gladiateurs ", trop prévisibles et trop conformistes, ni les Hercule d'aventure plus traditionnels. La présence d'un laboratoire tout droit sorti d'un Frankenstein de série Z en Atlantide, les tirs de laser ou le surjeu des méchants font de ce Goldocrack à la conquête de l'Atlantide un monument kitsch qui s'avère relativement agréable regardé au second degré (là ou ses prédécesseurs étaient la plupart du temps simplement ennuyeux).
Difficile d'en dire plus long sur ce sous-produit dégénéré qui constitue, par rapport à son modèle cottafavien, l'un des addenda les plus risibles de l'histoire du péplum. Kirk Morris est sans doute après Dan Vadis l'acteur le moins charismatique du genre et Alfonso Brescia enchainera par la suite les mauvais décalques de Star Wars et les improbables La vie sexuelle de Don Juan ou Supermen contre les amazones. La saga Hercule aura ainsi été un parfait exemple de nivellement par le bas, offrant à ses débuts un grand film (Hercule à la conquête de l'Atlantide), quelques objets intéressants (la Vengeance d'Hercule, Hercule et la reine de Lydie) et une œuvre de Bava aussi splendide visuellement que pauvre scénaristiquement (Hercule contre les vampires), avant que les budgets ne se réduisent et que les tâcherons de quinzième zone ne prennent la place des artisans consciencieux des origines.
Note : ce film sera le dernier Hercule de cette série de chroniques, nous passerons désormais à l'étude de son rival Maciste. Tous les Hercule de la période 57-66 ont normalement été abordés, à l'exception des deux films cumulant plusieurs héros (Hercule, Samson et Ulysse d'une part et Le Grand Défi d'autre part) sur lesquels nous reviendrons plus tard, et du Défi des géants qui a malheureusement été impossible à dénicher mais dont la réputation calamiteuse semble indiquer que la perte n'est pas primordiale.
jeudi 5 février 2015
None Shall Escape (André De Toth, 1944)
Wilhelm Grimm (Alexander Knox), un responsable nazi, est jugé par un tribunal international peu de temps après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Les témoignages portent sur trois époques de la vie de Grimm : sa démobilisation en Pologne après la défaite de 1918, sa fuite en Allemagne et son adhésion au parti nazi puis son retour en Pologne après l'invasion.
Surprenant film de procès dont de nombreux critiques ont loué l'aspect prémonitoire dans la mesure où il précédait de plus d'un an le jugement des dignitaires nazis à Nuremberg. Une narration à la Citizen Kane (mais extrêmement simplifiée) retrace le parcours de Wilhelm Grimm qui devient une métaphore du destin de l'Allemagne. Humilié après le traité de Versailles, il en tire une grande frustration qui le conduit à haïr les polonais auprès desquels il vit et qui le lui rendent bien (André De Toth avait durant ses dernières années européennes filmé l'invasion de la Pologne par l'Allemagne). Sa rencontre avec l'idéologie nazie semble surtout conditionnée par sa soif de revanche et il se montrera encore plus impitoyable au sein d'un système qui considère toute humanité comme une preuve de faiblesse. Le scénario lui présente une double opposition allemande : d'abord par le biais de Karl, le frère anti-nazi de Wilhelm qui représente la république de Weimar. Compréhensif et tolérant, il sera la première victime de l'ascension fulgurante de son frère lorsque celui-ci l'enverra en camp de concentration pour ne pas se voir suspecté de complaisance. Plus tard Willi, le fils de Karl entre temps adopté par Wilhelm, trahira la cause nazie en soutenant moralement les polonais contre l'avis de son tuteur. Grâce à eux, De Toth évite de condamner l'ensemble du peuple allemand et fait de Wilhelm un homme qui n'hésite jamais à se retourner contre les siens.
Film de propagande oblige, il est clair que None Shall Escape n'échappe pas au didactisme notamment lors de la conclusion durant laquelle le juge s'adresse au spectateur pour lui intimer de prendre parti. Néanmoins, il y a dans le réquisitoire implacable effectué par De Toth et son scénariste Lester Cole une rage peu commune, une dénonciation d'une évidente sincérité. Wilhelm est un homme fondamentalement incapable d'admettre ses fautes, et cherche systématiquement un responsable extérieur. Il accuse sa fiancée de le rejeter à cause de son infirmité là ou son dégout est lié au racisme anti-polonais de Wilhelm, et c'est la soif de revanche que son neveu ne partage pas avec lui (Willi ayant eu une enfance sans histoire, il n'a pas de haine comparable à celle de son oncle) qui finira par aboutir à la destruction de leur lien filial et de la dernière touche d'humanité chez le nazi. Deux scènes absolument stupéfiantes sont à noter : l'appel à la révolte du rabbin qui conduit les prisonniers juifs à refuser d'entrer dans le train, et le moment ou Willi fait face au cadavre de la jeune femme qu'il aimait.
La force du scénario de Cole est qu'il offre à Wilhelm des portes de sortie que celui-ci ne saisit jamais. On a pu voir récemment des films chercher à humaniser les nazis (La Chute notamment) mais si il est évident que ceux-ci étaient bel et bien des gens " comme les autres ", De Toth et Cole rappellent aussi l'importance du libre arbitre. Karl propose à Wilhelm de partir à Vienne avec lui ; plus tôt, Wilhelm se voit offrir une chance de vivre en Pologne pour peu qu'il accepte de considérer la population comme son égale. Comparativement à la majorité des films anti-nazis produits par Hollywood, il y a également une importance rare accordée ici au statut des juifs et à l'antisémitisme, généralement relégué au second plan ou oublié. On peut donc voir en None Shall Esacape une démonstration de force, un réquisitoire quelque peu schématique mais la puissance de l'interprétation d'Alexander Knox et la maitrise de la mise en scène de De Toth, étonnante pour son second film américain seulement (très beau mouvement de grue lorsque Marsha Hunt vient témoigner à la barre contre son ancien amant) contribuent à faire de None Shall Escape une œuvre forte et marquante.
mercredi 4 février 2015
Le Dernier des salauds (Ferdinando Baldi, 1969)
Rafael (Peter Martell) survit à une embuscade commanditée par Anna (Luciana Paluzzi). Il trouve refuge chez un jeune homme, Sebastian (Leonard Mann) à qui Rafael raconte une étrange histoire : Sebastian serait en réalité le fils d'Anna, celle-ci ayant assassiné le père de Sebastian avec l'aide de son amant Tomas (Alberto de Mendoza).
Il n'y a pas moins de cinq scénaristes crédités au générique du Dernier des salauds, sans doute le western de Ferdinando Baldi le plus ambitieux sur le plan thématique. Après l'Odyssée dans Le Retour de Ringo, c'est au tour d'un mythe grec moins célèbre, l'Orestie d'Eschyle, de se voir transposé dans l'univers des cowboys sanguinaires. Leone avait d'ailleurs lui-même convoqué son héritage littéraire (Arlequin, serviteur de deux maîtres) et Hamlet, Ulysse ou Oreste trouveront tous une deuxième vie au sein d'une production plus frontale dans sa manière d'aborder ses mythes que ne pouvait l'être la concurrence américaine. Une autre influence moins évidente est celle du western ibérique, moins excessif et moins brutal que son cousin italien mais plus mélodramatique. Il y a ici une insistance très forte sur la psychologie des personnages, ainsi qu'une volonté d'exprimer violemment leur souffrance. Celle-ci se traduit notamment par de nombreux plans serrés sur le visage ravagé de Peter Martell, ainsi que sur un ajout thématique par rapport au mythe grec : Pylade/Rafael est ici non seulement amoureux d'Electre/Isabella, mais également castré sur ordre de Tomas/Egisthe, son désespoir étant notamment illustré par la scène ou une prostituée s'offre à celui qui ne peut que compenser son infirmité dans l'alcool.
Si Pylade sort donc grandi de sa réactualisation, cela n'est pas le cas pour ce qui est d'Oreste. En effet, si Peter Martell livre un bel effort de composition, on ne saurait en dire autant du très médiocre Leonard Mann qui possède plus de tenues différentes que d'expressions faciales. Par sa désespérante neutralité de jeu, il désamorce toute la tension dramatique accumulée et si on peut parfois pardonner un jeu médiocre dans des productions plus orientées vers l'action pure, celui-ci devient rédhibitoire dans un univers tragique. Les comédiens sont dans l'ensemble plutôt bons (mention particulière à Luciano Rossi en simplet et à Piero Lulli en brute épaisse, ainsi qu'à la beauté de Luciana Paluzzi) sans parvenir à transcender le film, excepté une Pilar Velázquez jolie mais calamiteuse. Il faut dire que Baldi ne semble savoir quoi faire d'Electre, à l'origine la réelle instigatrice de la vengeance de son frère ici réduite à jouer les utilités que Rafael et Sebastian viendront sauver. Parmi les points noirs du scénario, l'absence de justification réelle donnée à Anna lors de l'assassinat de son mari (dans la pièce, Clytemnestre venge le sacrifice de sa fille Iphigénie par Agamemnon) rend le personnage plus schématique et moins riche, tandis qu'un twist final de fort mauvais gout vient achever cette impression. Enfin, la présence de deux héros traités à peu près équitablement est parfois déroutante : après dix minutes introductives passées avec Rafael, celui-ci est momentanément relégué au second plan pour faire place un Sebastian moins attachant, pour mieux revenir plus tard...
En dépit du fait qu'il ne soit pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions, Le Dernier des salauds est un western plutôt sympathique dans la bonne moyenne des réalisations de Ferdinando Baldi, réalisateur inégal capable à l'occasion de susciter l'intérêt (Django, prépare ton cercueil ou surtout son surprenant Blindman). A l'exception de quelques zooms peu gracieux, la mise en scène est de bonne qualité et l'affrontement final lors de l'incendie (le feu étant l'élément mélodramatique ultime, la catharsis durant laquelle la haine accumulée vient faire œuvre de destruction) se révèle tout à fait réussi. La musique de Roberto Pregadio parvient à se démarquer des scores morriconiens et une fois n'est pas coutume est employée plutôt judicieusement. Un film intéressant faute d'être enthousiasmant.
lundi 2 février 2015
Le Rouge est mis (Gilles Grangier, 1957)
Louis Bertain (Jean Gabin), un garagiste, est en réalité un redoutable truand qui multiplie les braquages aux côtés de Pépito (Lino Ventura), Raymond et Fredo. Pierre (Marcel Bozzuffi), le frère de Louis autrefois condamné pour un petit larcin, est arrêté par la police qui fait pression sur lui afin qu'il dénonce Louis, tandis que la dernière attaque menée par celui-ci vire au carnage.
Troisième adaptation d'Auguste le Breton après Du rififi chez les hommes et Razzia sur la chnouf, Le Rouge est mis est loin d'arriver à la hauteur de ses prédécesseurs et particulièrement du très beau film de Dassin. En premier lieu, il serait temps d'admettre que le Breton était un romancier extrêmement médiocre, au style ultra-daté à la fois dans ses thèmes (un racisme et une misogynie de bon aloi s'y trouvent) et dans sa forme (l'abus d'argot qui fait qu’aujourd’hui, l'auteur est quasiment illisible). Beaucoup moins talentueux qu'un Simonin, autrement moins précis qu'un Vial-Lesou, Le Breton est certainement moins responsable de sa postérité cinématographique que ne le sont les talents conjugués des metteurs en scène et acteurs l'ayant porté à l'écran. Mais Gilles Grangier n'est pas Jules Dassin et un matériau de base bancal confié aux mains d'un artisan sans grande personnalité n'avait que peu de chances d'aboutir à un grand film.
Il y aurait assez peu à dire sur la mise en scène de Grangier, relativement quelconque mais efficace en son genre (les scènes de poursuite sont cadrées avec rigueur et dans l'ensemble, le cinéaste s'avère tout à fait professionnel en dépit de son impersonnalité). Mais le scénario mal écrit empêche à l'entreprise de prendre de la hauteur. Passe encore ce retournement de situation quelque peu improbable permettant à Bozzuffi de découvrir les activités de son frère et de Pépito ; mais le fait d'en parler à sa maitresse que le réalisateur n'a eu de cesse de présenter comme une arriviste est une manipulation grossière visant à aiguiller personnages et spectateurs du mauvais côté. Il y a également une forme d'hypocrisie dans le fait de voir des gangsters éliminer des policiers à moto à coups de mitraillette, avant qu'on ne nous apprenne que ceux-ci ne sont que blessés comme si Grangier n'assumait pas la violence du milieu qu'il décrit (la complaisance avec laquelle Gabin est filmé n'arrangeant rien). Mais plus généralement, Le Rouge est mis n'est pas une catastrophe totale, il se regarde pour peu que l'on apprécie le charme d'époque, les acteurs ou les dialogues de - déjà ! - Michel Audiard. Simplement, il n'apporte rien à l'histoire, n'a pour lui ni l'abstraction d'un Melville ni le travail sur le cadre de Dassin ni le brio d'un Becker. Il n'est qu'un petit polar de plus.
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