Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
samedi 10 mai 2014
Révélations (Michael Mann, 1999)
Jeffrey Wigand (Russell Crowe), vice-président de la recherche et du développement dans une société produisant du tabac, est renvoyé après s'être opposé aux méthodes de ses supérieurs. Il est contacté par Lowell Bergman (Al Pacino), journaliste-star habitué à couvrir des dossiers brûlants. Bergman tente de convaincre Wigand de violer l'accorde de confidentialité signé avec son ancien employeur.
Révélations est un Mann à part, sorte d'héritier d'une tradition 70's de films durant lesquels des journalistes s'attaquaient à d'importantes corporations ou divulguaient des scandales d'état (A cause d'un assassinat ou Les hommes du président, tous deux signés Alan Pakula). Mais l'approche de Mann est très singulière : d'abord, sa narration est partagée entre deux figures complémentaires, celle du journaliste intègre joué par Pacino mais également celle du témoin-clé incarné par Russell Crowe. Là ou le journaliste était habituellement l'élément central du récit, Révélations se transforme souvent en drame personnel dans lequel Crowe se débat au sein d'une structure familiale en pleine déliquescence. C'est d'ailleurs cet étonnant mélange entre le scandale national et les scènes beaucoup plus intimistes qui font de Révélations un véritable film de Mann ; de même, il y a une indéniable originalité dans la manière dont sont montrées les menaces du lobby tabagiste : aucune de ces scènes n'est réellement explicite et chacune pourrait se révéler un reflet de l'état mental de Russell Crowe. L'approche adoptée par Mann peut d'ailleurs être vue comme une sorte de brillante adaptation du fantastique à la Val Lewton (La Féline, Vaudou...), où les menaces étaient bien plus suggérées que montrées, à une narration de polar, comme en témoignent les très belles scènes du terrain de golf ou de la visite nocturne.
Pour continuer sur les thématiques abordées dans notre critique de Heat, on retrouve encore une fois la corrélation entre la vie amoureuse et la vie professionnelle puisque si Crowe rechigne autant à l'idée de s'en prendre à ses anciens patrons, c'est avant tout par crainte des conséquences sur sa famille, qu'il s'agisse de menaces envers ses filles ou de sa difficulté à maintenir une relation avec sa femme. Quand Révélations se termine, un homme a perdu tout ce qui le caractérisait professionnellement mais à sauvé sa dignité et son couple, tandis qu'un autre n'a au contraire retrouvé un semblant d'utilité sociale qu'au prix de son mariage. Et si Pacino est comme la plupart du temps formidable, Russell Crowe est ici touché par la grâce et trouve une intensité de jeu prodigieuse, donnant durant deux heure trente le sentiment d'être à deux doigts de l'explosion ou du suicide. L'année 1999 fut sienne - il y tourna également l'excellent polar L.A. Confidential - et sa prestation en quidam dont la vie bascule justifierait à elle seule le visionnage de Révélations. Mais on se régalera tout autant de la photographie splendide de l'inévitable Dante Spinotti, d'une musique qui a une ou deux exceptions près apporte un très beau complément aux images (on peut même préférer le travail de Lisa Gerrard ici à celui qu'elle réalisa au sein du groupe Dead Can Dance) et d'un usage épisodique du ralenti qui pour une fois chez Mann est tout à fait pertinent puisqu'il accompagne les moments clés ou le destin des personnage bascule de manière irréversible ; de même, l'emploi occasionnel du filmage caméra à l'épaule passe comme une lettre à la poste.
Avec Révélations, Mann prouve qu'une histoire vraie n'exclut pas une mise en scène ambitieuse et adapte avec brio son style et son atypique science du rythme à une forme traditionnelle de cinéma engagé. Si quelques excès didactiques viennent légèrement en affaiblir la portée - les dialogues de Pacino autour de la démocratie et du rôle de la presse - et l'empêcher d'égaler le chef d'oeuvre Heat, Révélations est toutefois l'un des plus beaux films de son auteur et venait conclure magistralement la plus belle décennie cinématographique du cinéaste (Le Dernier des Mohicans, Heat et donc Révélations, rien que ça ! ). Un très grand film.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire