Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
mardi 27 mai 2014
La Fièvre au corps (Lawrence Kasdan, 1981)
Ned Racine (William Hurt), un avocat fauché exerçant sous le soleil de la Floride, rencontre la charmante Mattie Walker (Kathleen Turner) qu'il séduit et dont il devient l'amant. Lorsque Racine découvre la richesse du marie de Mattie, Edmund (Richard Crenna) les amants mettent au point un stratagème pour s'en débarrasser. Edmund est assassiné mais l'enquête est menée par deux amis proches de Racine.
La Fièvre au corps fut le premier film de Lawrence Kasdan, dont l'estimable carrière en tant que réalisateur peine à éclipser le fait qu'il fut avant tout le scénariste de deux immenses succès : l'Empire contre-attaque d'Irvin Kershner et Indiana Jones et les aventuriers de l'arche perdue de Steven Spielberg. Derrière la caméra, sa connaissance des mythes cinématographiques lui permit de revisiter habilement le film noir avec cette variation sur le thème de la femme fatale en forme de descendant direct des films adaptés de James Cain (Le Facteur sonne toujours deux fois, Assurance sur la mort). C'est de ce dernier dont La Fièvre au corps se rapproche le plus et thématiquement, la première partie en est un véritable décalque. Seule la présence du duo d'amis de William Hurt (qui, par ailleurs, font beaucoup penser aux personnages analogues du Démon des armes de Joseph Lewis) vient apporter un peu de nouveauté narrative et même si l'ambiance étouffante (rarement a t-on à ce point ressenti l'omniprésence de la chaleur) est à mettre au crédit de Kasdan, reste que le côté très balisé du scénario donne dans un premier temps le sentiment de voir un élève appliqué reprendre scolairement les recettes d'un genre tombé en désuétude, avec un respect certain mais peu d'apports personnels.
Tout ceci s'améliore durant la deuxième partie. D'abord, parce que les scènes moins référentielles apparaissent progressivement (la jeune fille qui tombe sur le couple adultérin, le dîner ou les menaces voilées lancées par Richard Creena font mouche) et que le talent de Kasdan-scénariste permet d'excellentes choses comme la séquence durant laquelle William Hurt joue quitte ou double en refusant de sortir du commissariat sans passer devant un éventuel témoin. Mais si La Fièvre au corps rejoint les thématiques d'Assurance sur la mort, c'est pour mieux dépasser celui-ci dans la noirceur. Le film noir traditionnel permettait à l'homme manipulé de se venger de la femme fatale, dut-il le payer de sa vie ; ici Kathleen Turner surpasse en machiavélisme les Ava Gardner ou les Rita Hayworth du passé (elle peut tout à fait être vue comme la grande sœur de Linda Fiorentino dans Last Seduction) tandis qu'au contraire, William Hurt passe le film entier sans comprendre et n'arrive qu'à s'enfoncer lorsqu'il croit enfin maîtriser quoi que ce soit. Si l'esthétique est déjà celle propre aux années 80 naissantes, Kasdan a retenu de la contre-culture 70's cette fin du héros viril et sur de lui que Hurt personnifie comme un perdant manipulé.
William Hurt, sans jouer mal, n'est sans doute pas tout à fait à la hauteur de ce que requiert son rôle. Trop froid, trop " droit dans ses bottes " il peine à nous attacher au sale type qu'il incarne. En revanche, Kathleen Turner est radieuse tandis que dans les seconds rôles, on note notamment un Richard Crenna antipathique à souhait et un superbe Mickey Rourke en pyromane qui vole les quelques scènes durant lesquelles il apparaît. Pour le reste, il s'agit d'un bon film sans faute de gout, bien filmé et au score réussi signé John Barry, mais il lui manque un petit supplément d'âme pour pouvoir fièrement trôner dans les encyclopédies aux côtés de ses modèles. Les accidents, les moments de grâce qui permettent aux grands film de demeurer dans l'inconscient collectif ne répondent pas vraiment à l'appel mais il serait injuste de snober un film aussi bien écrit et - excepté William Hurt - bien joué. Si plus tard le côté un peu scolaire de Kasdan lui fera parfois céder à l'académisme, ce coup d'essai reste l'un de ses meilleurs films et une intéressante tentative de cinéma néo-noir comme les années 80 en compteront plusieurs.
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