mardi 6 mai 2014

Le Caïd de Yokohama (Kinji Fukasaku, 1969)


Le clan Danno, dirigé en sous-main par le stratège Tsubaki (Ryohei Uchida) entraîne dans sa lutte un clan allié que dirigent Tsukamoto (Koji Tsuruta), tout droit sorti de prison, et son adjoint Kazama (Bunta Sugawara). De son côté, Ooba (Noboru Ando), un yakuza ayant perdu son bras dans un combat, rêve de se venger du clan Danno.

Le Caïd de Yokohama n'est pas le meilleur film réalisé par Fukasaku dans les années 60 ; on peut lui préférer le très original Le Lézard Noir ou le côté plaisamment nouvelle vague de Kamikaze Club. Cependant, ces films-là ne sont pas tout à fait annonciateurs de la direction qu'il prendra durant la décennie suivante, pendant laquelle seront réalisés Le cimetière de la morale et la série Combat sans code d'honneur. Cette direction se retrouve en revanche dans ce Caïd de Yokohama (dont Guerre des gangs à Okinawa, ou l'on retrouve à peu près le même casting, devait initialement être une suite), première grande réussite de Fukasaku dans le domaine du film de yakuza. Il est également une très intéressante transition entre le monde du ninkyo, que pouvaient représenter les sagas Lady Yakuza ou Brutal Tales of chivalry, et ce qu'on appellera par la suite le jitsuroku-eiga qui démystifiait le code d'honneur traditionnel. On retrouve donc des personnages chevaleresques : Koji Tsuruta, Noboru Ando et Bunta Sugawara ne sont pas encore les gangsters furieux et instables des films ultérieurs. Ils portent en revanche en eux l'échec du mode de vie yakuza (la femme morte de Tsuruta, la perte du bras d'Ando) et ne se contentent plus de lutter contre un clan mais contre un système ou l'alliance politique importe plus que les valeurs humaines.



Si thématiquement on retrouve à un stade embryonnaire tout ce qui pourra faire la marque du cinéaste, formellement c'est un peu plus complexe. Le Caïd de Yokohama est un film plus lent, plus posé, plus romantique que ses successeurs et le style de mise en scène du cinéaste (les arrêts sur images, les cadrages penchés, le filmage caméra à l'épaule) s'accorde beaucoup moins bien à cette langueur qu'à ses débordements futurs. Le style s'y fait déjà viscéral et poignant, mais il n'est pas encore tout à fait adapté au ton. En revanche, le superbe casting (Ando, Tsuruta, Sugawara, Tomisaburo " Babt Cart " Wakayama en cinglé et l'inévitable Hideo Murota en sbire) compense largement ce déséquilibre. Par beaucoup d'aspects (l'amitié improbable entre Koji et Ando, le psychopathe admiratif devant le comportement du héros, la charge désespérée) on est ici en présence d'un brouillon de Guerre des gangs à Okinawa dans lequel ces éléments trouveront leur plein potentiel, mais un brouillon qui peut regarder une grande partie de la concurrence sans baisser les yeux, d'autant plus qu'il contient un certain nombre de moments très émouvants (le dernier face-à-face Tsuruta-Sugawara, la femme d'Ando courant après la voiture, Wakayama à bout de nerfs renvoyant ses hommes).


Au final, Le Caïd de Yokohama serait à la suite de la carrière du cinéaste (et notamment Guerre des gangs à Okinawa) ce que Okita le pourfendeur fut au Cimetière de la morale : un précurseur inspiré bien qu'inégal. Les thématiques du ninkyo (la difficulté pour le couple de se stabiliser, le rapport de fraternité entre les membre du clan ou deux adversaire) viennent à la fois lui donner une plus grande force émotionnelle tout en le privant de la dimension nihiliste de ses chefs d’œuvre. Ainsi, on pourrait oser un parallèle entre Fukasaku et Seijun Suzuki : tous deux sont des cinéastes ayant débuté avec des films relativement conventionnels et qui progressivement imposeront leur style, violent pour l'un et délirant pour l'autre, jusqu'à subvertir complètement l'approche habituelle du genre dans leur film-somme (respectivement Le Cimetière de la morale et La Marque du tueur). Un jalon historique important qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer le cinéma de Jean-Pierre Melville.

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