Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
mardi 24 mars 2015
Milan calibre 9 (Fernando Di Leo, 1972)
Ugo Piazza (Gastone Moschin) sort de prison. Il est accueilli avec brutalité par Rocco (Mario Adorf), un homme de main de l'Américain qui accuse Ugo d'avoir dérobé de l'argent à l'Organisation avant d'être arrêté. La police est également convaincue de la culpabilité d'Ugo qui, acculé de part et d'autre, demande de l'aide à son ami Chino (Philippe Leroy).
Il y a dans Milan calibre 9 deux films qui peinent à cohabiter : dans le premier (qui occupe l'essentiel de sa durée) Gastone Moschin fait face à la bande de l'Américain qui tient à tout prix à lui faire admettre un vol, dans le second (constitué de trois scènes seulement) les deux policiers joués par Frank Wolff et Luigi Pistilli confrontent leurs points de vue sur la délinquance et la société italienne. Si le discours a le mérite d'être autrement plus intéressant et ambigu que l'auto-défense promue par Umberto Lenzi ou Sergio Martino, ces dialogues donnent l'impression de parasiter l'action et d'y être plaqués de manière très artificielle ; Fernando Di Leo a d'ailleurs admis a posteriori qu'il aurait probablement du s'en passer. Le paradoxe est que si le personnage qui a de toute évidence les faveurs du réalisateur, celui de Luigi Pistilli, représente une pensée de gauche ouvrière, du côté des bandits le cinéaste s'attache avant tout aux conservateurs incarnés par Chino et son ancien Don réduits à l'impuissance par l'arrivée des organisations internationales. Des deux côtés de la loi, les moins corrompus sont ceux dont le pouvoir d'action est le plus limité et les tentatives de Chino comme du commissaire Mercuri seront vouées à l'échec ; on retrouve le metteur en scène d'Avere vent'anni qui sans tomber dans la complaisance envers ses marginaux ne leur offrait aucun contrepoint représentant une alternative valable.
La partie centrée autour de Moschin et de Mario Adorf est largement plus convaincante. Si Moschin fait un très bon héros taciturne dont les pensées sont aussi mystérieuses aux yeux du spectateur qu'à ceux des divers protagonistes, le personnage que l'on n'est pas prêt d'oublier est celui du gangster Rocco, fou furieux aux incroyables excès de violence (il taillade un barbier et tue un serveur en le cognant contre un coin de table) qui figure certainement parmi les hommes de main les plus mémorables de l'histoire du cinéma. Mario Adorf possède un charisme titanesque et les seconds rôles impeccables (Barbara Bouchet passant de l'ange au démon en une remarquable séquence, Philippe Leroy, Lionel Stander) forment une partition dénuée de fausse note. La mise en scène de Di Leo est également d'une rigueur largement supérieure à la moyenne du cinéma d'exploitation italien et si il manque peut-être une scène d'action aussi haletante que la poursuite centrale de Passeport pour deux tueurs (il y a bien un règlement de comptes généralisé ici, mais il est assez conventionnel) l'ensemble est bien emballé avec quelques très sympathiques scènes de night club étrangement filmées.
Il est étonnant de voir certaines critiques parler de scénario conventionnel pour Milan calibre 9 tant il s'agit probablement au contraire d'une des histoires les plus atypiques du polar italien, notamment grâce à son double retournement de situation final. Si ceux-ci sont extraordinairement frustrants sur le coup et donnent pratiquement l'impression de se moquer du spectateur, ils s'inscrivent en réalité avec cohérence dans une démarche du cinéaste, celle de refuser à tout prix l'idéalisation de la pègre et de brouiller totalement les repères moraux du public pour provoquer un malaise. Ainsi, Milan Calibre 9 n'est pas le polar explosif parfois décrit ici et là, il est bien moins un film d'action jubilatoire qu'un film d'auteur déguisé en œuvre de genre dotée d'une remarquable ironie puisqu'elle se conclue par un acte totalement désintéressé ayant lieu de la part du personnage a priori le plus détestable. Si on y ajoute à tout cela l'excellente musique de Luis Bacalov, on espère que Di Leo nous pardonnera de le paraphraser quand - en dépit des défauts déjà mentionnés - à l'instar de Rocco on lui tirera notre chapeau.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire