Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
dimanche 1 mars 2015
La Jeunesse du massacre (Fernando Di Leo, 1969)
Une institutrice a été violée et assassinée. Les onze garçons présents lors du meurtre nient tous y avoir participé et l'inspecteur Duca Lamberti (Pier Paolo Capponi) est chargé de l'enquête. Lamberti en vient rapidement à soupçonner que les adolescents couvrent une femme qui aurait été la véritable instigatrice du crime.
Plusieurs films de Fernando Di Leo sont inspirés de l’œuvre du romancier Giorgio Scerbanenco (Milan Calibre 9 et l'Empire du crime sont basés sur des nouvelles de l'écrivain), mais La Jeunesse du massacre est le seul à suivre d'aussi près son matériau d'origine : si les moments plus intimistes du livre concernant les relations entre Duca, sa fiancée et sa sœur ont été logiquement supprimés (Duca Lamberti est un personnage récurrent chez l'auteur, aussi les éléments de sa vie personnelle servaient plus de toile de fond que d'éléments décisifs pour l'intrigue), le reste du film est globalement fidèle avec notamment des dialogues repris textuellement. Le regard de Scerbanenco sur l'homosexualité était déjà quelque peu équivoque : si Lamberti est clairement homophobe, il parvient à éprouver de la tendresse pour le jeune inverti et l'auteur amenait un certain recul sur les pensées du personnage. En revanche, en modifiant la conclusion et en transformant la mégère hystérique du livre en homosexuel travesti, Di Leo se montre assez douteux sur le plan idéologique d'autant plus que cette fin est totalement incohérente : comment justifier de l'autorité et de la crainte inspirés par un travesti sur tout un groupe de jeunes délinquants ? On perd énormément de la complexité psychologique (Scerbanenco est parfois appelé " le Simenon italien ") de l'auteur tant les motifs du viol sont ici peu crédible - dans le livre, l'institutrice est " punie " pour avoir été une délatrice qui a conduit la famille d'un des enfants en prison -.
Comme dans le livre, le viol en question est montré deux fois : de manière confuse et parcellaire dans l'introduction puis en conclusion, une fois les motifs du crime éclaircis par Duca. Ces deux scènes montrent une décennie avant Avere vent'anni l'évident talent du cinéaste pour distiller le malaise avec une force digne du Sam Peckinpah des Chiens de paille (le montage de ces deux scènes étant particulièrement brillant). On retrouve également l'étude minutieuse du milieu social et ce déterminisme (non-absolu) qui enrichissent la description des adolescents. Un des principaux problèmes demeure le fait que toute l'enquête ne soit vue que par les yeux de Lamberti, or celui-ci est interprété par un Pier Paolo Cappani assez peu expressif qui fait plus penser à une version assagie d'un vulgaire Maurizio Merli qu'à un policier scrutateur de l'âme humaine. Les films ultérieurs de Di Leo, notamment sa fameuse trilogie du milieu, disposeront de suffisamment de moments d'actions pour lui permettre de montrer ses talents de metteur en scène nerveux. Ici, confiné par un récit psychologisant avec lequel il ne semble pas tout à fait à l'aise, Di Leo ne parvient pas toujours à éviter l'ennui au spectateur.
Même si le film n'est pas tout à fait à la hauteur des attentes qu'on pouvait avoir envers le romancier comme envers le cinéaste, il reste un portrait intéressant d'un groupe de jeunes à la dérive, d'autant plus manipulables que personne n'ira chercher au-delà de leur évidente culpabilité. Il faut également noter la musique de Silvano Spadaccino, dissonante et très désagréable à l'oreille mais utilisée avec brio par Di Leo lors des flashbacks pour donner à ceux-ci une dimension cauchemardesque ; on échappe également à une certaine complaisance dans le sordide grâce à des portraits nuancés des violeurs. Reste que Di Leo n'a pas encore atteint le niveau de ses meilleurs films des années 70 et que La Jeunesse du massacre ne saurait produire le même impact que Milan Calibre 9 ou Avere vent'anni. Reste un film inabouti qui tout en ayant vieilli continue à produire son petit effet aujourd'hui.
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