vendredi 27 mars 2015

Mélodie de la rancune (Yasuharu Hasebe, 1973)



Sasori (Meiko Kaji) est traquée par l'inspecteur Kodama (Toshiyuki Hosokawa). Elle parvient à lui échapper et trouve refuge chez Kudo (Masakazu Tamura), un militant gauchiste ayant été tabassé par la police durant sa jeunesse. Sasori noue une relation avec lui mais lorsque Kudo est arrêté par Kodama, il craque et la dénonce.

Quatrième Sasori mais premier sans le réalisateur emblématique Shunya Itô, ce volet marque une régression évidente après trois très bons opus. Pourtant, le choix de Yasuharu Hasebe semblait tout à fait pertinent : ancien assistant réalisateur auprès de Seijun Suzuki (certainement l'un des cinéastes dont l'esthétique est la plus proche de celle d'Ito), il s'évertuera souvent à marcher sur les traces de son mentor mais avait aussi été le premier metteur en scène à révéler Meiko Kaji. Pourtant, Hasebe parait ici en pilotage automatique et délivre une réalisation la plupart du temps fonctionnelle, sans grande inspiration. Seul le dernier quart d'heure lui permet de confectionner deux beaux moments de cinéma : la pendaison de Sasori avec ses filtres colorés et les retrouvailles entre l'héroïne et son amant Kudo. Mais on peinerait à voir dans cette Mélodie de la rancune des équivalents à la course de relais d'Elle s'appelait scorpion ou à l'introduction de La Tanière de la bête. Il arrive que surgisse une idée sympathique (le générique, le flashback sépia) mais le surréalisme incandescent de la série n'aura guère survécu au changement de réalisateur.


Sur le plan du scénario, le film se révèle plus intéressant. Si l'on retrouve des éléments déjà vus auparavant (le policier acharné comme celui de La Tanière de la bête, une vengeance finale de Sasori très La Femme scorpion) cet épisode ne donne pas le sentiment de tomber dans la redite totale comme ses successeurs. Kudo est le premier personnage masculin positif rencontré par Meiko Kaji et leur rencontre est aussi la synthèse de deux luttes contre le pouvoir, celle des femmes et celle des étudiants gauchistes. L'histoire n'est pas exempte de sadisme, parfois acceptable (la mort de la femme de l'inspecteur qui pousse celui-ci aux pires excès), parfois complaisante (le viol de la gardienne). En revanche, si l'idée de renvoyer Nami en prison fonctionnait dans l'épisode précédent, ici non seulement elle est amenée de manière maladroite mais surtout elle ne donne lieu qu'à des scènes inintéressantes : la relation entre Nami et la prisonnière condamnée à mort ne fonctionne pas du tout tandis que l'idée de la prison " matriarcale ", à l'inverse du système carcéral brutal et masculin vu auparavant dans la série, est trop peu exploitée. Sans le brio, ne reste parfois que l'impression de contempler un cinéaste remplir machinalement son cahier des charges.


La Mélodie de la rancune est également le premier Sasori à connaitre un tel déficit de rythme. Une bonne moitié des séquences tire en longueur à l'image de l'interminable capture de Nami par les policiers ou de l'interrogatoire de Kudo. Et si Meiko Kaji se démène tout autant que d'habitude pour ce qui sera sa dernière incarnation de Sasori, le reste de la distribution peine à faire exister des personnages mal écrits, y compris Kudo et Kodama pourtant très présents à l'écran. Il faut également noter une grosse déception sur le plan musical : non seulement le nouvel arrangement du thème principal est très inférieur au premier mais surtout, les ajouts se révèlent parfois inappropriés comme lorsque l'exécution d'une prisonnière qui aurait pu posséder une belle force dramatique se voit accompagnée d'un thème guilleret absolument hors de propos.
Certes, le réalisateur n'est pas seul responsable de cette baisse de niveau brutale puisque les studios avaient imposé de fortes restrictions budgétaires. Néanmoins, on comprend à la vue de cette Mélodie de la rancune pourquoi Meiko Kaji a préféré partir tourner les Lady Snowblood avec la réussite que l'on connait ; car même si il demeure plus regardable que les futurs films de Yutaka Kohira, La Mélodie de la rancune n'est qu'un film d'exploitation relativement anecdotique.

mardi 24 mars 2015

Milan calibre 9 (Fernando Di Leo, 1972)


Ugo Piazza (Gastone Moschin) sort de prison. Il est accueilli avec brutalité par Rocco (Mario Adorf), un homme de main de l'Américain qui accuse Ugo d'avoir dérobé de l'argent à l'Organisation avant d'être arrêté. La police est également convaincue de la culpabilité d'Ugo qui, acculé de part et d'autre, demande de l'aide à son ami Chino (Philippe Leroy).

Il y a dans Milan calibre 9 deux films qui peinent à cohabiter : dans le premier (qui occupe l'essentiel de sa durée) Gastone Moschin fait face à la bande de l'Américain qui tient à tout prix à lui faire admettre un vol, dans le second (constitué de trois scènes seulement) les deux policiers joués par Frank Wolff et Luigi Pistilli confrontent leurs points de vue sur la délinquance et la société italienne. Si le discours a le mérite d'être autrement plus intéressant et ambigu que l'auto-défense promue par Umberto Lenzi ou Sergio Martino, ces dialogues donnent l'impression de parasiter l'action et d'y être plaqués de manière très artificielle ; Fernando Di Leo a d'ailleurs admis a posteriori qu'il aurait probablement du s'en passer. Le paradoxe est que si le personnage qui a de toute évidence les faveurs du réalisateur, celui de Luigi Pistilli, représente une pensée de gauche ouvrière, du côté des bandits le cinéaste s'attache avant tout aux conservateurs incarnés par Chino et son ancien Don réduits à l'impuissance par l'arrivée des organisations internationales. Des deux côtés de la loi, les moins corrompus sont ceux dont le pouvoir d'action est le plus limité et les tentatives de Chino comme du commissaire Mercuri seront vouées à l'échec ; on retrouve le metteur en scène d'Avere vent'anni qui sans tomber dans la complaisance envers ses marginaux ne leur offrait aucun contrepoint représentant une alternative valable.


La partie centrée autour de Moschin et de Mario Adorf est largement plus convaincante. Si Moschin fait un très bon héros taciturne dont les pensées sont aussi mystérieuses aux yeux du spectateur qu'à ceux des divers protagonistes, le personnage que l'on n'est pas prêt d'oublier est celui du gangster Rocco, fou furieux aux incroyables excès de violence (il taillade un barbier et tue un serveur en le cognant contre un coin de table) qui figure certainement parmi les hommes de main les plus mémorables de l'histoire du cinéma. Mario Adorf possède un charisme titanesque et les seconds rôles impeccables (Barbara Bouchet passant de l'ange au démon en une remarquable séquence, Philippe Leroy, Lionel Stander) forment une partition dénuée de fausse note. La mise en scène de Di Leo est également d'une rigueur largement supérieure à la moyenne du cinéma d'exploitation italien et si il manque peut-être une scène d'action aussi haletante que la poursuite centrale de Passeport pour deux tueurs (il y a bien un règlement de comptes généralisé ici, mais il est assez conventionnel) l'ensemble est bien emballé avec quelques très sympathiques scènes de night club étrangement filmées.


Il est étonnant de voir certaines critiques parler de scénario conventionnel pour Milan calibre 9 tant il s'agit probablement au contraire d'une des histoires les plus atypiques du polar italien, notamment grâce à son double retournement de situation final. Si ceux-ci sont extraordinairement frustrants sur le coup et donnent pratiquement l'impression de se moquer du spectateur, ils s'inscrivent en réalité avec cohérence dans une démarche du cinéaste, celle de refuser à tout prix l'idéalisation de la pègre et de brouiller totalement les repères moraux du public pour provoquer un malaise. Ainsi, Milan Calibre 9 n'est pas le polar explosif parfois décrit ici et là, il est bien moins un film d'action jubilatoire qu'un film d'auteur déguisé en œuvre de genre dotée d'une remarquable ironie puisqu'elle se conclue par un acte totalement désintéressé ayant lieu de la part du personnage a priori le plus détestable. Si on y ajoute à tout cela l'excellente musique de Luis Bacalov, on espère que Di Leo nous pardonnera de le paraphraser quand - en dépit des défauts déjà mentionnés - à l'instar de Rocco on lui tirera notre chapeau.

lundi 23 mars 2015

The Triple Cross (Kinji Fukasaku, 1992)


Trois vieux gangsters, Shiba (Sonny Chiba), Kanzaki (Kenichi Hagiwara) et Imura (Renji Ishibashi) ont l'habitude d'effectuer des braquages. Ils sont contactés par Kadomachi (Kazuya Kimura), un jeune rockeur endetté qui leur propose d'attaquer un convoi. L'opération se passe bien mais le butin se révèle plus faible que prévu et Kadomachi abat Shiba et Imura avant de s'enfuir avec l'argent.

On peut voir The Triple Cross de deux manières : en le comparant aux chefs d’œuvre réalisés par Fukasaku dans les années 70 et le juger mineur face à cette concurrence, ou au contraire en rappelant les commandes impersonnelles alignées par le cinéaste durant les deux décennies suivantes au milieu desquelles se serait donc glissé ce petit polar punk, surexcité qui faute de tutoyer les cimes se révèle redoutablement efficace dans sa rock and roll attitude. The Triple Cross est handicapé par une esthétique de téléfilm - il faut rappeler qu'il a été réalisé pour la télévision - qui n'empêche toutefois pas le cinéaste de retrouver son univers furieux (caméras portées, cadrages de travers) d'autant plus adapté que ses personnages de jeunes sont ici totalement enragés. C'est bien cette vitalité qui force ici l'admiration et on peut pardonner de nombreux excès cabotins, des carambolages plus proches des Blues brothers que de Combat sans code d'honneur tant on est heureux de retrouver un metteur en scène aussi énergique que Fukasaku livrer ses adieux au monde du polar avec autant de vigueur.


Une originalité de The Triple Cross est que sur un thème très utilisé au sein du polar (la lutte entre les anciens et la nouvelle génération) il ne cède pas à l'habituelle rengaine du code d'honneur bafoué et du manque d'éducation des jeunes. Si Fukasaku semble plus proche du trio de cinquantenaires, son binôme composé d'un chanteur de heavy metal et d'une hystérique en manque d'attention réussit à être attachant malgré la caractérisation totalement excessive des personnages. Kanzaki lui-même admet à Kadomachi qu'il lui trouve du cran et l'un des plans les plus formidables du film confronte un jeune rocker agonisant à un policier de son âge, le premier déclamant au second " t'as pas honte de porter cet uniforme, connard ? ". Le conflit de génération n'exclut pas le respect mutuel et la conclusion jouissive montre un héros blessé, ruiné, fatigué et défiguré qui reprend soudainement des forces à la vue d'une banque dont on devine qu'elle sera rapidement attaquée. Les marginaux jeunes ou vieux ne sont jamais à bout de souffle ; à 62 ans Fukasaku parvient encore à faire preuve d'une insolence jeunesse dans son état d'esprit (rappelons qu'il réalisera son magnifique Battle Royale à près de 70 ans !) et comparativement à l'académisme quelque peu suranné de La Maison des geishas, The Triple Cross a pour lui un rythme tenu de bout en bout, une énergie à l'opposé des polars contemplatifs réalisés par Takeshi Kitano à l'époque.


Pour revenir un instant sur la manière dont les personnages sont décrits, The Triple Cross réussit à trouver un juste milieu dans son humour qui ne cède jamais à la parodie facile en dépit de l'énormité de certaines situations (la nymphomane avec sa mitraillette, la coupe de cheveux du rockeur, le mutisme exagéré de Kenichi Hagiwara, les yakuzas totalement incompétents et les policiers inefficaces). Le bon casting n'est sans doute pas pour rien dans cet aspect avec notamment cet excellent trio Sonny Chiba-Renji Ishibashi-Kenichi Hagiwara mais aussi Yoshio Harada en yakuza héroïnomane capable de tuer quelqu'un a trente mètres sans même regarder sa cible. Et faute de retrouver ce parfait mélange de force politique et de viscéralité d'un Cimetière de la morale, The Triple Cross correspond à cette expression souvent galvaudée de feel good movie parfaitement divertissant. On mettra un minuscule bémol sur l'utilisation d'un hard-rock nippon inaudible qui si il est justifié lors des scènes de concert se révèle assez inapproprié lors de la très bonne poursuive en voiture.

samedi 21 mars 2015

Salaud (Michael Tuchner, 1971)


Un croupier rentre chez lui où l'attendent des hommes de Vic Dakin (Richard Burton) ; accusé d'avoir mouchardé, il est cruellement défiguré. Dakin compte monter un gros casse en dépit des réticences de son entourage mais souhaite également renouer avec son amant Wolfe (Ian McShane) qui a souhaité prendre ses distances.

Sorti juste entre La loi du milieu de Mike Hodges et The Offence de Sidney Lumet, Salaud est l’œuvre la moins connue au sein de cette trinité qui allait apporter un ton nouveau au polar anglais faute de connaitre un réel succès commercial ; il s'agit également d'une adaptation déguisée de la vie du gangster Ronnie Kray qui inspirerait indirectement Du sang sur la Tamise de John Mackenzie et directement Les frères Krays de Peter Medak. Le portrait du criminel incarné par Richard Burton ressemble à une version modernisée de celui joué par James Cagney dans le chef d’œuvre de Raoul Walsh, L'Enfer est à lui ; tous deux partagent une vénération absolue pour leur mère, un sadisme évident, une homosexualité (implicite chez Walsh, affirmée ici) et une grande arrogance vis-à-vis du monde extérieur à la mafia. Burton est remarquable et parvient à rendre son personnage extrêmement crédible en dépit du fait qu'il ressemble à une véritable compilation de tares et de déviances ; son monologue final face à la police est d'ailleurs symptomatique d'un ton propre aux polars anglais qui ne partagent que rarement la fascination de leurs homologues américains pour les truands et ne cessent de renvoyer ceux-ci à leur égocentrisme, à la médiocrité de leur existence. Sa relation sado-masochiste avec Wolfe est intéressante car ambiguë puisque celui-ci possède également un certain ascendant sur Dakin.


Si Salaud est globalement mis en scène sans grande personnalité mais avec une bonne efficacité artisanale (très belle photo de Christopher Challis, chef opérateur attitré du duo Powell-Pressburger) le scénario n'est pas tout à fait à la hauteur. Qu'il y ait un manque de vision sur l'univers mafieux et que les péripéties soient quelque peu prévisibles n'aurait sans doute pas été si dramatique pour peu que l'on parvienne à s'attacher aux personnages, or en dépit de la bonne volonté évidente des (excellents) acteurs, même le policier joué par Nigel Davenport ou le maquereau bissexuel ne retiennent guère l'intérêt. De plus, on peut déplorer un certain manque d'ampleur : toute l'intrigue est résolue avec un simplisme désarmant (les policiers planquent devant la maison de Dakin, parviennent à le prendre sur le fait... et c'est tout !) et certains éléments intéressants mis en place au fur et à mesure semblent avoir été abandonnés en route, comme la corruption du ministre, les rapports hostiles entre Dakin et certains de ses associés ou encore le rôle de la compagne de Wolfe. Du sang sur la Tamise parvenait à exploiter une situation politique précise - les liens entre la mafia anglaise et les terroristes de l'IRA - tandis que La loi du milieu tenait en haleine avec la vengeance méticuleuse de Carter ; ici Tuchner ne parvient pas à s'élever au-dessus d'un script trop avare en moments d'intensité si on excepte la glaçante introduction et les dernières minutes.


Ainsi, Salaud se révèle agréable grâce à ses acteurs, à son efficacité sans fioriture et à la fascination qu'entraine le personnage de Kray/Dakin mais n'est pas le grand polar espéré. Il est l'un de ces films sans énorme défaut apparent mais qui souffrent trop de la comparaison avec leurs contemporains où leurs successeurs pour pouvoir laisser une marque durable dans l'histoire du cinéma si ce n'est dans les mémoires des spécialistes du genre, et qui montrent qu'une somme de qualités ne saurait remplacer la grâce. Il reste toutefois largement supérieur à la majorité des polars anglais récents si l'on excepte les films atypiques d'Hodges (Seule la mort peut m'arrêter) et Glazer (Sexy Beast). Pour la petite histoire, on notera avec surprise que le scénario est cosigné par l'acteur Al Lettieri qu'on a notamment pu voir dans le Parrain (le mafieux Sollozzo qui était tué par Michael Corleone dans le restaurant) ou dans certains films de Richard Fleischer.

lundi 16 mars 2015

Written By (Wai Ka-fai, 2009)



Tony (Lau Ching-wan) et sa famille sont en voiture lorsqu'ils percutent un camion. Tony est tué, sa fille Melody (Mia Yan) devient aveugle tandis que sa femme Mandy (Kelly Lin) et son fils Oscar s'en tirent. Des années plus tard, Melody écrit pour sa mère inconsolable une histoire dans laquelle la réalité est inversée : seul Tony aurait alors survécu à l'accident.

Wai Ka-fai est l'un des principaux scénaristes de la Milkyway de Johnnie To ; son travail alterne le meilleur (Drug War qu'il co-réalisa, The Longest Nite, Too Many ways to be number one qui reste le plus convaincant de ses films mis en scène seul) et le pire (Needing You, Wu Yen, Mad Detective). Réalisé hors Milkyway, Written By s'inscrit malheureusement dans la seconde catégorie, en grande partie du fait que comme souvent Wai Ka-fai ne parvient pas à faire le tri dans ses idées et accouche d'un scénario ultra-embrouillé, prometteur au départ mais fatiguant à la longue. Deux réalités s'opposent en premier lieu : la " bonne " ou seul Lau Ching-wan est mort lors de l'accident, et dans laquelle sa fille aveugle écrit un roman donnant lieu à la " mauvaise " réalité ou au contraire le père a survécu tout en récupérant le handicap de sa fille. Les deux s'entrechoquent de manière de plus en plus incompréhensible : si au départ la logique des évènements simultanés est encore perceptible (un balcon chute dans les deux dimensions mais ne tue pas les mêmes personnes) les voyages de Melody d'une dimension à une autre ne répondent à aucune logique pas plus que ses rajeunissements-vieillissements inutiles.


La première partie tente d'instaurer une ambiance de deuil, la petite famille ne se remettant pas de la mort du père. Malheureusement, la mise en scène de Wai Ka-fai se révèle totalement inappropriée : par ses décors exubérants, ses cadres surchargés d'objets et sa photographie colorée, il ne parvient guère à faire ressentir la détresse d'autant plus que les acteurs jouent épouvantablement mal, à commencer par un Lau Ching-wan tout aussi à côté de la plaque que dans La vie sans principe (ce qui ne l'empêche pas d'être l'un des plus grands acteurs en activité lorsqu'il est bien dirigé) et par sa domestique philippine insupportable de cabotinage. Les scènes tire-larmes s'accumulent avec la lourdeur d'un mauvais téléfilm Disney de Noël, et aucun cliché ne sera épargné au spectateur : la famille modèle pleurant autour de la tombe, la réunion des vivants et des fantômes au paradis, le personnage devant accepter de vivre même après la mort de ses proches. La musique de l'omniprésent Xavier Jamaux n'arrange rien et il est paradoxal pour un réalisateur-scénariste de donner à ce point l'impression que son script et sa mise en scène ne s'articulent jamais efficacement. S'ajoute à tout cela un humour bas-du-front à base d'aveugles qui se cassent la figure ou de domestiques hystériques à faire relativiser le running-gag des pets dans Breaking News.


Si cette première moitié n'est donc pas convaincante, la seconde vire au grand n'importe quoi avec son univers de Harry Potter du pauvre dans lequel les divinités se battent pour savoir qui est mort (les deux dimensions parallèles s'étant rejointes). La photographie est hideuse, les effets spéciaux ratés et le spectateur abandonne finalement toute ambition de comprendre le pourquoi du comment tant la logique parait avoir été jeté aux orties en cours de tournage.
On aurait aimé apprécier Written By tant ce film constitue une évidente et incontestable prise de risque artistique pour Wai Ka-fai, mais comme souvent le scénariste semble être débordé par son imagination et multiplier les effets sans cohérence (pourquoi trois jeunes femmes pour deux réalités ? Pourquoi si les morts des dimensions se rejoignent, alors Melody reste-elle vivante ?), qu'on aurait peut-être pu pardonner à condition de pouvoir s'impliquer un minimum autour du destin de personnages plutôt pénibles. Pas totalement détestable, mais absolument oubliable.

jeudi 12 mars 2015

Maciste contre le fantôme (Giacomo Gentilomo, 1961)



Le village de Maciste (Gordon Scott) est attaqué par des hommes du sultan Omar, qui enlèvent Cora, la fiancée de Maciste. Mais Omar est sous l'influence d'Astra (Gianna Maria Canale) et du monstre Kobrak. Maciste reçoit l'aide de Kurtik (Jacques Sernas) qui lui apprend que Kobrak change les hommes en statues.

Sonnez trompettes, raisonnez clairons : enfin un péplum potable après une dizaine d'Hercules plus honteux les uns que les autres et un premier Maciste pas franchement folichon. Allons même plus loin : Maciste contre le fantôme est un très bon film et pour l'instant le plus convaincant des péplums néo-mythologiques italiens derrière Hercule à la conquête de l'Atlantide. Esthétiquement comme thématiquement, Maciste contre le fantôme est très proche de l'Hercule contre les vampires de Bava, que ce soit de par sa photographie (volonté de créer un climat fantasmagorique, insistance sur les teintes rougeâtres) ou de par son méchant (rappelons au passage que celui d'Hercule contre les vampires était un sorcier, et que celui de Maciste contre le fantôme est en revanche... un vampire, même si le nom n'est pas utilisé !). Mais là ou le film de Bava, splendide visuellement, était desservi par son scénario, Maciste contre le fantôme surprend agréablement sur cet aspect. Ici, les péripéties sont bien dosées, Maciste affronte des guerriers robotisés, quelques monstres bizarroïdes, des esclavagistes et même son propre double dans la mesure ou l'affrontement final est un réjouissant Maciste contre Maciste ! Le climat arabe est dépaysant et on trouve même une agréable noirceur de ton car Maciste évolue dans un univers bien cruel dans lequel les enfants peuvent mourir et les femmes être sacrifiées.


Il y a depuis bien longtemps débat concernant la paternité de la mise en scène, Jean-Marie Sabatier entre autres s'interrogeant sur l'étonnante qualité de l’œuvre au sein de la filmographie terne de Giacomo Gentilomo. Certains sites l’attribuent à Sergio Corbucci - crédité en temps que co-scénariste - et force est de constater que le sadisme qui irrigue l’œuvre du réalisateur de Django se retrouve tant dans la séquence du mat où les esclaves se retrouvent empalés que lorsque Gianna Maria Canale est torturée. Si il est peut-être excessif de lui attribuer l'intégralité du film, certaines scènes portent toutefois sa marque.
Surtout, il s'agit d'un péplum d'une évidente bonne volonté. En 1961, le temps n'est pas encore venu aux séries Z bâclées dans lesquelles l'absence de budget étouffera tout ce qui pourrait ressembler à de l'inspiration. Non seulement la photographie d'Alvaro Mancori est superbe mais la figuration semble crédible, les décors nombreux et réussis (l'univers vaguement arabe, la forêt hostile, l'antre de Kobrak) et la mise en scène révèle quelques beaux moments de poésie morbide tel que la mort de l'esclavagiste ou la première vampirisation.


Gordon Scott, essentiellement connu comme interprète de Tarzan, est aussi à l'aise ici que dans Hercule contre Moloch ; si il est clairement plus charismatique que la majorité de ses confrères, il peine toutefois à convaincre lorsqu'il s'agit d'avoir un jeu intériorisé. La très belle Gianna Maria Canale, l'une des meilleures actrices du genre, pâtit d'un personnage assez mal écrit qui n'arrive jamais à être plus qu'une vulgaire femme de main de Kobrak mais la distribution a le mérite de nous épargner un Kirk Morris ou un Dan Vadis qui auraient pu saborder le film à eux seuls. Le film de Gentilomo (et Corbucci ?) n'a pas la profondeur, la réflexion politique sous-jacente d'un Cottafavi ; il ne s'agit que d'un divertissement qui vise à aligner les péripéties, mais l'inventivité de Duccio Tessari - décidément de très loin le plus grand scénariste de péplum italien - fait qu'on en ressort heureux de constater que sa réputation n'est pas usurpée. A l'instar de la saga Hercule, les Maciste s'appliqueraient rapidement à faire oublier leurs prometteurs débuts mais en l'état, ce Maciste est celui que l'on se doit de visionner avant de vouer trop vite le genre aux gémonies.

mardi 10 mars 2015

Larry le dingue, Mary la garce (John Hough, 1974)




Un pilote, Larry (Peter Fonda) et son mécanicien Deke (Adam Roarke) dérobent la recette d'un supermarché après avoir pris en otage la femme et la fille du gérant. Alors que la police les recherche, ils sont rejoins dans leur escapade par Mary (Susan George), la conquête d'un soir de Larry. Le capitaine Franklin (Vic Morrow) dirige la chasse.

Quelque part entre le road movie à la Easy Rider et la course-poursuite à la Point Limite Zéro, Larry le dingue, Mary la garce est un drôle de film réalisé par un ancien cinéaste de la Hammer à qui l'on doit entre autres Les Sévices de Dracula. L'aspect libertaire est ici moins présent et si tous les personnages sont en conflit avec l'ordre établi (Mary a fait de la prison, Larry et Deke sont des petits truands et même le shérif Franklin déteste sa hiérarchie, Larry le décrit d'ailleurs comme un type fou, enfin encore plus fou moi) il ne semble pas y avoir de réelle intention politique, seulement un film d'action avec des têtes brulées. Plus que les personnages-titre, c'est d'ailleurs le mécanicien Deke qui semble avoir la sympathie du réalisateur, le couple principal étant quant à lui composé d'une excitée simplement là pour tromper l'ennui et d'un sale type égocentrique et menteur. Il n'y a pas de portée sociale, pas de critique d'un système ; seulement des pourchassés qui cherchent à dépasser les limites ainsi que des poursuivants très contents de pouvoir s'amuser eux aussi, ce qui fait que si le film est bien meilleur qu'une Route de la violence par exemple, il est aussi légèrement moins attachant car plus limité sur le plan émotionnel. Ceci dit, cette légèreté a également le mérite de débarrasser le film du discours pesant de certaines œuvres de la contre-culture et son absence de prétention thématique lui permet de se concentrer pleinement sur le spectacle.


Le scénario est plutôt inepte et tant les motivations des personnages que leurs relations sont rapidement reléguées au second plan. Deux choses semblent intéresser John Hough : réaliser un portrait de couple aux rapports dysfonctionnels et hystériques, et enchainer le maximum de poursuites en voiture. Concernant le premier point, ce n'est qu'à moitié réussi : si dans un premier temps les engueulades conjugales sont rafraichissantes (c'est bien simple, ils ne sont jamais d'accord sur rien si ce n'est sur le fait de se crier dessus), elles finissent par tourner en rond tant aucun des deux ne semble évoluer au fur et à mesure du film. En revanche, les poursuites sont nombreuses et saisissantes. Le running-gag du policier redneck qui finit systématiquement dans le décor fonctionne et la fin nous gratifie d'une sensationnelle course entre une voiture et un hélicoptère. C'est lorsqu'il anticipe le jeu vidéo en multipliant la tôle froissée que Larry le dingue, Mary la garce est à son meilleur d'autant plus que Hough cadre et monte ces scènes avec brio. Le jeu du chat et de la souris est plus malin qu'il n'y parait (le shérif sait que les héros ont une radio branchée sur la fréquence de la police et finit par déclamer absolument n'importe quoi afin de les faire paniquer) et s'achève par une fin surprenante de par son pessimisme, tranchant quelque peu avec celles plus métaphoriques des films cités ci-dessus.


En plus des qualités abordées précédemment, il faut noter des acteurs qui brillent moins par un jeu digne de l'Actors Studio que par leur capacité à imposer une présence, une crédibilité, un charisme. Le trio Peter Fonda/Susan George/Adam Roarke fonctionne à merveille et Vic Morrow n'a rien à leur envier en shérif plouc ; par leur talent, ils parviennent facilement à nous attacher à des figures qui ne sont ni très originales ni très reluisantes. Ainsi Larry le dingue, Mary la garce apparait comme une semi-réussite à la fois en phase et décalée avec son époque, ratant l'un des aspects les plus emblématiques du road movie (le traitement des personnage et la manière dont leur voyage les change) tout en réussissant pleinement son pari de gros divertissement motorisé. Ici, on n'a pas boudé notre plaisir au point de l'apprécier pratiquement autant que son lointain descendant, le Boulevard de la mort de Quentin Tarantino.

dimanche 8 mars 2015

Johnny le bâtard (Armando Crispino, 1967)

 
Un séducteur, John Donald (John Richardson) ne cesse d'aller de conquête en conquête. Après avoir revu sa mère, il découvre que son père qu'il croyait mort est en réalité le richissime Don Tenorio dont le fils Francisco (Claudio Camaso) est craint pour son despotisme. John Donald tente de séduire sa femme Dona Antonia ( Martine Beswick) afin de régler ses comptes avec son frère.

Après l'Odyssée mais avant Hamlet et l'Orestie, c'est cette fois ci Don Juan qui est transposé dans l'univers du western transalpin. A priori, le mythe se prête moins aisément à une déclinaison baroque et effectivement, Crispino se heurte à un certain manque de ligne directrice. Après une introduction de laquelle Johnny/Juan est absent (le film est un flashback raconté par son serviteur agonisant, choix original mais qui n'apporte pas grand chose) on assiste à une longue confrontation entre notre héros et la famille d'une femme qu'il a séduite, famille qui force Johnny à épouser sa conquête. Johnny s'échappe, survit à une fusillade face à ses beaux-parents et jusque là, on semble avoir affaire à un mélange certes atypique mais cohérent. Sauf qu'à partir de sa rencontre avec les mormons, le personnage de Johnny devient de plus en plus incompréhensible : libertin mais honorable, frimeur mais courageux, il est finalement antipathique notamment de par son apathie et sa complaisance devant les horreurs commises par son frère, excepté le fait de l'avoir spolié de sa place légitime. On dirait que Crispino a hésité entre forcer l'adhésion et mettre le spectateur à distance, d’où un entre-deux guère convaincant à l'image des relations fluctuantes qu'entretient Johnny avec son serviteur simplet, mais il demeure très difficile d'éprouver un minimum d'empathie pour le héros et donc de s'intéresser à sa quête identitaire narcissique.


Au moins, Johnny le bâtard peut se targuer de présenter des situations originales, ainsi que des protagonistes inhabituels : les mormons (personnages les plus positifs du film) accompagnés de leur archange Gordon Mitchell, le valet, la mère " indigne " de Johnny ou l'ambivalente Dona Antonia sont traités avec plus de relief que la grande majorité des personnages unidimensionnels peuplant le cinéma d'exploitation. La qualité de l'interprétation est également supérieure à la moyenne : si John Richardson est correct quoique pas tout à fait à la hauteur de ce que nécessitait un anti-héros aussi complexe psychologiquement, Martine Beswick, Gordon Mitchell et Claudio Camaso font de très bons seconds rôles. Le score de Nico Fidenco est en revanche plutôt quelconque et si on n'a rien contre les excès baroques au sein d'un univers italien, le baroque selon Crispino est très loin de valoir celui des Leone, Fulci, Questi ou Corbucci.


Si Crispino emballe son film assez proprement (les zooms brutaux et la plupart des clichés visuels spaghettis se font rares), il accumule beaucoup trop de thématiques traitées artificiellement pour un film d'une heure et demie. Les liens du sang - Johnny et son ennemi mortel ont le même père, le meneur de l'attaque des paysans travaille pour les exploiteurs mais n'a pas supporté de devoir exécuter son frère -, l'opposition entre l'hédonisme et la religion - comme dans la pièce, Johnny est finalement châtié par Dieu -, le désir de reconnaissance et la lutte des classes ou encore le complexe d’œdipe sont évoqués sans être articulés entre eux avec fluidité. Les motivations deviennent ainsi parfois floues (pourquoi les mormons décident-ils de faire tuer Johnny ? ) voir incompréhensibles (pourquoi les tantes sont-elles effrayées par la mère, qui semble bien peu dangereuse ? Pourquoi Don Tenorio n'arrive t-il pas à s'opposer à son fils ?). Trop de bifurcations narratives, trop de ruptures de ton et trop de transition brutales finissent ainsi par avoir raison d'un film qui ne ressemble à aucun autre western spaghetti mais qui fait penser à un empilement de saynètes, de bonnes idées de cinéma qui parfois se parasitent les unes les autres plus qu'elles ne s'additionnent. Crispino poursuivra sa carrière dans divers genre avec une volonté constante de casser les clichés et les conventions.

vendredi 6 mars 2015

La chatte des montagnes (Ernst Lubitsch, 1921)




Lilli (Edith Meller), la fille du commandant d'une forteresse isolée en montagne, attend l'arrivée d'un soldat doublé d'un grand séducteur, le lieutenant Alexis (Paul Heidemann). Celui-ci est attaqué par des bandits lors de son trajet et tombe amoureux de Rischka (Pola Negri) qui dirige la petite bande. Il tente dès lors de repousser son mariage avec Lilli.

Si le mot burlesque évoque forcément les meilleurs comiques américains du muet, de Chaplin à Langdon en passant par Keaton ou Lloyd, Lubitsch signe ici une réjouissante satire n'ayant rien à envier à ses homologues. Comme chez ses confrères, les décors sont plus irréalistes les uns que les autres (la forteresse ressemble à une maison de poupée géante que chaque scène de poursuite transforme en immense terrain de jeu) tandis que les personnages semblent tout à fait adaptés à cet environnement : le lieutenant laisse parler sa tristesse sur un immense cheval à bascule surplombé d'un cœur, tandis qu'après s'être disputé avec sa femme, le commandant de la garnison se couche en hauteur sur l'une des colonnes sur laquelle il semble pourtant impossible de grimper. Il y a une inventivité constante dans la gestion des décors qui culmine lors de la séquence de rêve où un groupe de bonhommes de neige trompettistes accueillent Pola Negri dans une véritable grotte de conte de fées ; il faut également noter la manière dont Lubitsch utilise des caches pour donner des formes géométriques diverses à ses cadres, parfois arrondis ou nuageux et qui viennent à certains moments apporter une ironie bienvenue à la situation (un personnage hypocrite pleure dans un plan en forme de larme, des amoureux en fuite cadrés comme si ils étaient observés par quelqu'un muni de jumelles). Formellement, le film apparait déjà très maitrisé et l'univers visuel unique de Lubitsch continue d'étonner près d'un siècle après sa sortie.


Il y a donc un cinéaste de génie derrière La chatte des montagnes, mais également une comédie déchainée. Pola Negri est irrésistible et chacune de ses apparitions, de ses poses masculines, de ses gags absurdes (ses hommes qui l'utilisent comme bélier pour défoncer une porte, la manière dont elle compte les jambes des brigands endormis pour s'assurer que tout le monde est là) est un véritable régal. Si l'actrice réalise une performance magnifique, son partenaire de jeu Paul Heidemann se révèle en revanche tout à fait quelconque d'autant plus que son physique moyen le rend peu crédible en playboy irrésistible. Peut-être Lubitsch a t-il voulu montrer par ce biais sa préférence pour les brigands plutôt que pour l'ordre établi (le film baigne d'ailleurs dans un ton libertaire et anarchisant, les moments d'attaques militaires étant un sommet de n'importe quoi) mais son absence de charisme diminue la force de leurs scènes de couple. Il aura toutefois droit à l'un des gags les plus génialement absurdes : son départ salué par une bonne centaine de ses anciennes maitresses, accompagnées d'autant d'enfants l'appelant " papa ".


Autre aspect surprenant : le film est divisé en quatre actes, et si le troisième en constitue le sommet comique en multipliant les moments de bravoure, le dernier bifurque vers un ton plus amer lorsque les personnages réalisent leur incapacité à pouvoir vivre ensemble. Les idées surréalistes se font moins drôles et plus poignantes (le mari de Pola Negri dont les larmes creusent un cours d'eau au milieu de la montagne) tandis que la fin est placée sous le signe de la résignation. Sans avoir la force comique des meilleurs films américains du cinéaste, La chatte des montagnes se révèle parfois assez osé (le commandant qui pense que Pola Negri fait l'amour dans le placard) et témoigne du talent avec lequel, en pleine période expressionniste, un metteur en scène parvient à en reprendre l'esthétique difforme pour la tirer vers une sorte de fantasmagorie satirique. Un excellent muet.

mercredi 4 mars 2015

K-19 : Le piège des profondeurs (Kathryn Bigelow, 2002)



En 1961, le gouvernement de l'URSS décide d'effectuer une démonstration de force en envoyant le sous-marin K-19 lancer un missile de dissuasion. Le commandant du K-19, Polenin (Liam Nesson), jugé laxiste, est rétrogradé pour servir de second à Vostrikov (Harrison Ford), réputé pour sa sécheresse et sa sévérité.

Rares sont les films de guerre américains à se placer du côté de leurs adversaires et sur ce point, on ne saurait nier le courage de Bigelow d'autant plus que la réalisatrice filme ses marins russes avec beaucoup de respect et d'empathie. Ce qui semble l'intéresser avant toute chose est la confrontation entre un groupe d'hommes et une technologie déficiente, la guerre froide ayant poussé les soviétiques à envoyer en mer un sous-marin loin des normes de sécurité américaines. Le conflit oppose ainsi un capitaine autoritaire et son second, plus attaché à ses hommes ; cette confrontation est traitée sans manichéisme, chacun des personnages ayant de bonnes raisons d'agir (c'est également valable pour les personnages secondaires : même les mutins ne sont pas diabolisés) et étant cohérent avec ses idées. Le problème est que cette lutte est beaucoup trop lourdement explicitée et qu'on a droit à une bonne demi-douzaine de scènes où Nesson reproche à Ford de risquer inutilement la vie de ses hommes ; la première heure laisse penser que les marins prendront parti ou joueront un rôle dans la rivalité (notamment par le biais du lieutenant Ratchenko fidèle à Ford et de Pavel qui semble avoir la confiance de Nesson) mais ceux-ci finissent par s'effacer et par ne devenir que de banals individus interchangeables.


Il y a dans K-19 : Le piège des profondeurs un réel problème de distribution. Non seulement on ne croit pas une seconde qu'Harrison Ford et Liam Nesson puissent être des officiers russes mais en plus l'ensemble du casting est affublé d'un faux accent désastreux ; si on comprend les impératifs commerciaux, il n'en demeure pas moins que la manière dont John McTiernan avait contourné le problème de la langue dans A la poursuite d'octobre rouge nous semble autrement plus astucieux. Et si Nesson fait ce qu'il peut, le jeu de Ford tout en serrage de mâchoire finit rapidement par agacer. Qui plus est, le parti-pris de réalisme et d'un certain respect de la réalité historique est intéressant mais trouve ses limites, d'abord parce que le spectacle est aux abonnés absents (les péripéties sont uniquement liées aux avaries et voir des hommes réparer des fuites d'eau n'est pas toujours captivant) mais surtout car il y a une inadéquation totale entre l'aspect épuré du scénario et la grandiloquence de la mise en scène qui n'est pas avare en discours pompeux sur le sacrifice et le patriotisme à grands renforts de violons. Il est ainsi amusant de voir un film ultra-respectueux dans sa représentation des soviétiques tout en adoptant une esthétique aussi purement américaine.


Enfin, sans provoquer un ennui aussi profond que Le poids de l'eau, K-19 : Le piège des profondeurs accuse des longueurs et ne parvient pas à maintenir jusqu'à la fin la tension de ses meilleurs moments. Il trouve toutefois à l'occasion quelques petits instants de brio : la peur de Ratchenko avant d'entrer dans le sas, Ford sacrifiant sa carrière et surtout les très choquantes scènes d'irradiation. Un des aspects les plus intéressants du scénario est le fait que les russes ne se sacrifient pas pour la survie de leur bateau mais parce que sa destruction entrainerait celle d'un navire américain à proximité et déclencherait une guerre (nous sommes un an avant avant la crise des missiles de Cuba). Ainsi derrière le patriotisme quelque peu ronflant du film se cache une critique des absurdités liées à la guerre froide - la scène où le commissaire politique passe un film de propagande anti-américain est plutôt maligne sur ce plan car elle renvoie les USA à leur propre cinéma antisoviétique -. K-19 : Le Piège des profondeurs n'est pas réellement convaincant et la réalisatrice sera bien plus inspirée pour son suivant Démineurs, cependant le film demeure largement regardable, en partie du fait de la mise en scène de Bigelow (superbes travelings à l'intérieur du sous-marin) qui fait beaucoup pour maintenir l'intérêt.

dimanche 1 mars 2015

La Tanière de la bête (Shunya Itô, 1973)




Nami (Meiko Kaji), recherchée pour meurtre, échappe au policier Kondo (Mikio Narita) après l'avoir amputé d'un bras. Elle rencontre Yuki (Yayoi Watanabe), une jeune prostituée. Un yakuza ayant reconnu Nami tente de lui faire du chantage mais elle parvient à le faire tuer avant, entrainant ainsi la fureur de son clan dirigé par une proxénète ayant connu Nami en prison.

Ce troisième Sasori contient certainement l'introduction la plus mémorable de toute la série : Nami, traquée, est attaquée dans le métro par deux policiers. Elle tue l'un mais l'autre parvient à se menotter à elle ; peu impressionnée, notre héroïne lui tranche le bras et le générique se superposera aux incroyables images de Meiko Kaji, courant au milieu d'une foule inerte attachée à un bras volant. Le policier ainsi amputé se fera le digne successeur du directeur de prison revanchard massacré par Nami dans Elle s'appelait scorpion mais ce volet se singularise également par le fait que la quasi-totalité de l'action a lieu hors-prison, Nami nouant une amitié assez touchante avec une jeune femme dotée d'un frère handicapé mental dont elle accepte de satisfaire les besoins sexuelles. Après avoir fait preuve d'une froideur totale dans l'épisode précédent, Nami s'humanise ici et l'une des meilleures séquences du film sera celle où elle tend la main à une prostituée mourante avant de découvrir que celle-ci cachait une arme, symbole fort transformant la compassion de l'héroïne en arme de lutte.


Le travail visuel de Shunya Itô est tout à fait à la hauteur de celui effectué sur Elle s'appelait scorpion, peut-être même supérieur. Les séquences surréalistes sont nombreuses et réussies : Yuki découvrant Nami cachée derrière une tombe et qui semble dévorer le bras du policier telle une zombie, l'envoi des allumettes dans les égouts, la mort de la prostituée illustrée symboliquement par le décor virant au rouge sang (idée proche du cinéma de Seijun Suzuki, La vie d'un tatoué contient d'ailleurs un plan similaire), le montage archi-découpé de la scène de boite de nuit avec la compagne du maitre chanteur ou encore l'attaque du yakuza par une Nami se reflétant partout dans les miroirs. La prestation d'une Meiko Kaji toujours aussi mutique est une fois de plus formidable, capable d'exprimer une émotion derrière le masque d'insensibilité comme le montrent ses discrets élans d'empathie envers Yuki. Si Nami était déjà dotée d'une amie dans La Femme scorpion, le personnage de Yuki est bien plus consistant même si on peut regretter le fait que l'histoire finisse par l'abandonner.


Si la mise en scène est donc digne du meilleur cinéma d'exploitation nippon, on sera un petit peu plus réservé sur un scénario critiquable sur plusieurs points. D'abord, il n'est pas exempt de longueurs comme la fuite dans les égouts, ceci étant lié au fait qu'il n'y a plus de ligne directrice aussi claire que dans les deux premiers opus. Mais surtout, les grosses coïncidences et les facilités narratives finissent par s'empiler : la présence du policier au moment exact où Yuki ravitaille Nami, l'évasion de celle-ci dont l'ellipse est difficile à accepter et le retour de Nami en prison qui, si elle offre quelques très bonnes scènes ainsi qu'une ironie appréciable (la vengeance de l'héroïne passant par un retour à la case départ), ne tient pas du tout du point de vue de l'histoire.
On pourra comparer l'évolution des Sasori à celle des Frankenstein de la Universal : la réussite des premiers volets tenait à l'alchimie entre un réalisateur talentueux (James Whale/Shunya Itô) et un(e) acteur(trice) en état de grâce (Boris Karloff/Meiko Kaji). Le départ du metteur en scène signera dans les deux cas le début d'un déclin rapidement précipité par celui de l'interprète, et à l'instar de Suzuki avec La Marque du tueur Itô payera le prix de ses audaces en étant définitivement écartée de la série par les producteurs. Quoique légèrement moins abouti qu'Elle s'appelait scorpion, La Tanière de la bête est un très bon film de vengeance ainsi que le dernier Sasori réellement marquant.

La Jeunesse du massacre (Fernando Di Leo, 1969)

 
Une institutrice a été violée et assassinée. Les onze garçons présents lors du meurtre nient tous y avoir participé et l'inspecteur Duca Lamberti (Pier Paolo Capponi) est chargé de l'enquête. Lamberti en vient rapidement à soupçonner que les adolescents couvrent une femme qui aurait été la véritable instigatrice du crime.

Plusieurs films de Fernando Di Leo sont inspirés de l’œuvre du romancier Giorgio Scerbanenco (Milan Calibre 9 et l'Empire du crime sont basés sur des nouvelles de l'écrivain), mais La Jeunesse du massacre est le seul à suivre d'aussi près son matériau d'origine : si les moments plus intimistes du livre concernant les relations entre Duca, sa fiancée et sa sœur ont été logiquement supprimés (Duca Lamberti est un personnage récurrent chez l'auteur, aussi les éléments de sa vie personnelle servaient plus de toile de fond que d'éléments décisifs pour l'intrigue), le reste du film est globalement fidèle avec notamment des dialogues repris textuellement. Le regard de Scerbanenco sur l'homosexualité était déjà quelque peu équivoque : si Lamberti est clairement homophobe, il parvient à éprouver de la tendresse pour le jeune inverti et l'auteur amenait un certain recul sur les pensées du personnage. En revanche, en modifiant la conclusion et en transformant la mégère hystérique du livre en homosexuel travesti, Di Leo se montre assez douteux sur le plan idéologique d'autant plus que cette fin est totalement incohérente : comment justifier de l'autorité et de la crainte inspirés par un travesti sur tout un groupe de jeunes délinquants ? On perd énormément de la complexité psychologique (Scerbanenco est parfois appelé " le Simenon italien ") de l'auteur tant les motifs du viol sont ici peu crédible - dans le livre, l'institutrice est " punie " pour avoir été une délatrice qui a conduit la famille d'un des enfants en prison -.


Comme dans le livre, le viol en question est montré deux fois : de manière confuse et parcellaire dans l'introduction puis en conclusion, une fois les motifs du crime éclaircis par Duca. Ces deux scènes montrent une décennie avant Avere vent'anni l'évident talent du cinéaste pour distiller le malaise avec une force digne du Sam Peckinpah des Chiens de paille (le montage de ces deux scènes étant particulièrement brillant). On retrouve également l'étude minutieuse du milieu social et ce déterminisme (non-absolu) qui enrichissent la description des adolescents. Un des principaux problèmes demeure le fait que toute l'enquête ne soit vue que par les yeux de Lamberti, or celui-ci est interprété par un Pier Paolo Cappani assez peu expressif qui fait plus penser à une version assagie d'un vulgaire Maurizio Merli qu'à un policier scrutateur de l'âme humaine. Les films ultérieurs de Di Leo, notamment sa fameuse trilogie du milieu, disposeront de suffisamment de moments d'actions pour lui permettre de montrer ses talents de metteur en scène nerveux. Ici, confiné par un récit psychologisant avec lequel il ne semble pas tout à fait à l'aise, Di Leo ne parvient pas toujours à éviter l'ennui au spectateur.


Même si le film n'est pas tout à fait à la hauteur des attentes qu'on pouvait avoir envers le romancier comme envers le cinéaste, il reste un portrait intéressant d'un groupe de jeunes à la dérive, d'autant plus manipulables que personne n'ira chercher au-delà de leur évidente culpabilité. Il faut également noter la musique de Silvano Spadaccino, dissonante et très désagréable à l'oreille mais utilisée avec brio par Di Leo lors des flashbacks pour donner à ceux-ci une dimension cauchemardesque ; on échappe également à une certaine complaisance dans le sordide grâce à des portraits nuancés des violeurs. Reste que Di Leo n'a pas encore atteint le niveau de ses meilleurs films des années 70 et que La Jeunesse du massacre ne saurait produire le même impact que Milan Calibre 9 ou Avere vent'anni. Reste un film inabouti qui tout en ayant vieilli continue à produire son petit effet aujourd'hui.