Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
dimanche 15 juin 2014
Matalo! (Cesare Canevari, 1970)
Bart (Corrado Pani), un bandit, est conduit à la potence dont il est rapidement délivré. Il retrouve ses deux anciens complices, Theo (Antonio Salinas) et Philip (Luis Davila), puis Mary (Claudia Gravi), la compagne de Philip. Cachés dans une ville fantôme, ils attaquent une diligence puis capturent successivement une vieille femme à demi-folle, une veuve et un australien assoiffé (Lou Castel) armé d'étranges boomerangs.
Matalo! est certainement l'un des westerns les plus atypiques, les plus indescriptibles et les plus anticonformistes que le cinéma italien a produit. Il est pratiquement impossible de comprendre les relations entre les personnages (Theo convoite Mary en couple avec son ami Phil trahi par Mary au profit de Bart qui ne s'intéresse qu'à l'or, pendant que Lou Castel meurt de soif et que la vieille dame souhaite repeupler la ville !) ni de prévoir ce qui va se passer tant tout s'enchaîne sans souci de fluidité ou de logique. Les travellings circulent dans tous les sens, la caméra zoom, dézoom et rezoom, on passe d'un plan filmé depuis une balançoire à un insert quasi-subliminal d’œil ou à une vue subjective depuis un boomerang. Dès lors il est très difficile de juger sereinement Matalo! qui s'applique justement à ne rien faire comme les conventions cinématographiques pourraient l'exiger, à l'image du sourire goguenard de Corrado Pani dont la nonchalance apparaît vite comme totalement irréelle. La séquence d'ouverture pourrait d'ailleurs rappeler quelques envolées surréalistes à la Bunuel : Bart, censé être pendu, est libéré par des complices mais intercepté par une veuve dont il a vraisemblablement assassiné le mari ; au lieu de le tuer, celle-ci le laisse l'embrasser avant de retourner son arme contre elle-même.
Les cow-boys de Matalo! ressemblent davantage à des hippies qu'à des pistoleros, tant dans leur mode de vie en communauté que dans leur habillement. Mais ces hippies sont dégénérés, cruels (ils torturent sans raison Lou Castel et assassinent tous ceux sur leur chemin, avant de se trahir les uns les autres) et Bart abat d'ailleurs les hommes venus le libérer pour ne pas avoir à les payer. On pourrait y voir un cousin de films plus tardifs comme La dernière maison sur la gauche (aux Etats-Unis) ou Avere vent'anni (en Italie) sur l'échec de la contre-culture mais si la dimension politique de ces films était relativement intelligible, celle de Matalo! est pour le moins absconse et prêter au film un discours peut sembler assez périlleux. La bande-originale est également une des plus surprenantes du genre, puisqu'aux habituelles partitions lyriques de Morricone ou Bacalov se substitue un thème principal de Mario Migliardi quelque part entre Jimi Hendrix et le Jefferson Airplane, à faire passer la musique de Keoma pour un sommet de classicisme. Le script a également été retravaillé en cours de tournage, d'ou des choses qui n'aboutissent pas (à l'origine, ce n'est pas Burt mais Baxter qui devait être pendu, le changement de personnage a fait de Baxter une coquille vide qui n'apporte rien au film).
Matalo! n'est pas réellement concluant. Lou Castel semble se demander ce qu'il fait là et heureusement, un Corrado Pani plus présent à l'écran et autrement plus charismatique s'en donne à cœur joie pour lui voler la vedette. Et si certaines scènes marquent durablement (la balançoire, le duel qui est à ma connaissance le seul cas cinématographique de lutte " pistolet contre boomerangs ", la caméra qui se promène au milieu des morts, le prêtre priant en pleine fusillade) il arrive trop souvent que les effets de style soient plus irritants que fascinants. On peut lui préférer son versant " film d'auteur " (El Topo de Jodorowsky), un peu plus tenu, ou ce qui demeure le meilleur western spaghetti délirant : Tire encore si tu peux de Giulio Questi. Reste que Matalo! est une expérience cinématographique unique qui prouve une fois de plus l'inanité des critiques considérant le genre comme une succession de pales copies de Sergio Leone. L'exemple parfait d'un cinéma inventif, bourré de défauts mais plus attachant que bien des films empruntant des chemins balisés.
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