samedi 28 juin 2014

Blood Island (Jang Cheol-soo, 2010)


Hae-won (Ji Sung-won), une jeune femme carriériste et colérique, est licenciée. Elle rejoint sur une petite île son amie d'enfance Bok-nam (Seo Young-hee), désormais mariée et mère d'une petite fille. Mais Bok-nam est systématiquement humiliée et rabaissée par son mari et la famille de celui-ci ; de nature égoïste, Hae-won refuse d'aider son amie jusqu'à ce que les choses dégénèrent...

On pourrait diviser le cinéma coréen contemporain en deux tendances : les films d'auteurs intimistes, très présents dans les festivals internationaux mais à l'impact commercial souvent limité (Hong Sang-soo, Im Kwon-taek, Kim Ki-duk) et un cinéma de genre violent, nerveux et apprécié du grand public (Park Chan-wook, Bong Joon-ho, Na Hong-jin). Peu de films se situent entre les deux et cette première réalisation de Jang Cheol-soo a le mérite de tenter l'une de ces fusions improbables dont les coréens semblent avoir le secret : le drame rural tendant vers le slasher. 



Ainsi, la première partie démarre avec Hae-won, citadine narcissique et lâche, qui après son renvoi décide de passer des vacances sur l'île de son enfance. Elle y retrouve Bok-nam qui y est copieusement maltraitée par la totalité des habitants excepté un grand-père mutique qui semble à peine conscient d'être en vie. Cette configuration dans laquelle un personnage féminin subit tous les malheurs du monde n'est pas nouvelle et pourrait s'inscrire dans une des pires tendances du cinéma de festivals, celle des manipulations à gros sabots d'un Haneke ou du Lars Von Trier de Dogville. Sans être un exemple de finesse, le film de Jang Cheol-soo vaut mieux que cela ; déjà parce que là ou Von Trier présentait sa communauté comme un ensemble de salauds irrécupérables, Jang ménage quelques touches d'humanité dans son récit (le policier, la prostituée qui est certainement la personne la plus normale) qui atténuent sa misanthropie. Ensuite parce que le cliché du monde en autarcie bouleversé par la venue d'un étranger y est habilement détourné : en soi, l'arrivée d'Hae-won n'est d'aucun secours à Bok-nam qui comprend rapidement que son " amie " ne lui sera d'aucun secours. C'est au contraire la prise de conscience de sa profonde solitude qui entraîne l'explosion de violence. La deuxième partie devient alors un slasher mâtiné de film de survie qui constitue l'un des plus beaux efforts de ces dernières années dans ce registre.



Là ou la majorité des films de vengeance fonctionnent par empathie absolue (le héros a bien raison) ou au contraire en condamnation totale (le vengeur se trompe de bout en bout), Blood Island confronte ses deux personnages féminins comme miroirs l'une de l'autre, la citadine et la fille de la campagne, l'altruiste et l’égoïste, celle qui subit et celle qui est indirectement complice des oppresseurs. Le monde de Séoul n'est pas opposé à celui de l'île de manière manichéenne, mais à la sauvagerie des bouseux répond l'indifférence des employé(e)s de bureau. Si cette thématique ne fonctionne pas à plein régime (le pathos y est parfois exagéré, les habitants de l'île sont caricaturaux) elle est maintenue à flots par la formidable intensité de jeux des deux actrices, notamment l'excellente Seo Young-hee déjà vue dans The Chaser. Si la mise en scène de la première moitié ressemble un peu à du sous-Kim Ki-duk - Jang Cheol-soo fut d'ailleurs son assistant avant de passer à la réalisation -, elle s'affirme néanmoins lorsque démarre la chasse à l'homme et le cinéaste joue avec talent des silences, des jeux de regards (incroyable séquence durant laquelle Seo Young-hee suce une lame) et même épisodiquement d'un humour très grinçant. 

Blood Island fait partie de ces nombreux films de genre coréens qui faute d'être réellement convaincants possèdent un ton suffisamment fort et original pour laisser une trace. Le féminisme qui l'imprègne, ambivalent et nuancé (la véritable personne détenant le pouvoir sur l'île est la tante, et l'oppression que subit Bok-nam n'est permise que grâce à des complicités féminines) est également rafraîchissant au vu du machisme parfois énervant d'un Na Hong-jin ou d'un Park Chan-wook et on attend avec intérêt la suite de la carrière de Jang Cheol-soo.

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