samedi 21 mars 2015

Salaud (Michael Tuchner, 1971)


Un croupier rentre chez lui où l'attendent des hommes de Vic Dakin (Richard Burton) ; accusé d'avoir mouchardé, il est cruellement défiguré. Dakin compte monter un gros casse en dépit des réticences de son entourage mais souhaite également renouer avec son amant Wolfe (Ian McShane) qui a souhaité prendre ses distances.

Sorti juste entre La loi du milieu de Mike Hodges et The Offence de Sidney Lumet, Salaud est l’œuvre la moins connue au sein de cette trinité qui allait apporter un ton nouveau au polar anglais faute de connaitre un réel succès commercial ; il s'agit également d'une adaptation déguisée de la vie du gangster Ronnie Kray qui inspirerait indirectement Du sang sur la Tamise de John Mackenzie et directement Les frères Krays de Peter Medak. Le portrait du criminel incarné par Richard Burton ressemble à une version modernisée de celui joué par James Cagney dans le chef d’œuvre de Raoul Walsh, L'Enfer est à lui ; tous deux partagent une vénération absolue pour leur mère, un sadisme évident, une homosexualité (implicite chez Walsh, affirmée ici) et une grande arrogance vis-à-vis du monde extérieur à la mafia. Burton est remarquable et parvient à rendre son personnage extrêmement crédible en dépit du fait qu'il ressemble à une véritable compilation de tares et de déviances ; son monologue final face à la police est d'ailleurs symptomatique d'un ton propre aux polars anglais qui ne partagent que rarement la fascination de leurs homologues américains pour les truands et ne cessent de renvoyer ceux-ci à leur égocentrisme, à la médiocrité de leur existence. Sa relation sado-masochiste avec Wolfe est intéressante car ambiguë puisque celui-ci possède également un certain ascendant sur Dakin.


Si Salaud est globalement mis en scène sans grande personnalité mais avec une bonne efficacité artisanale (très belle photo de Christopher Challis, chef opérateur attitré du duo Powell-Pressburger) le scénario n'est pas tout à fait à la hauteur. Qu'il y ait un manque de vision sur l'univers mafieux et que les péripéties soient quelque peu prévisibles n'aurait sans doute pas été si dramatique pour peu que l'on parvienne à s'attacher aux personnages, or en dépit de la bonne volonté évidente des (excellents) acteurs, même le policier joué par Nigel Davenport ou le maquereau bissexuel ne retiennent guère l'intérêt. De plus, on peut déplorer un certain manque d'ampleur : toute l'intrigue est résolue avec un simplisme désarmant (les policiers planquent devant la maison de Dakin, parviennent à le prendre sur le fait... et c'est tout !) et certains éléments intéressants mis en place au fur et à mesure semblent avoir été abandonnés en route, comme la corruption du ministre, les rapports hostiles entre Dakin et certains de ses associés ou encore le rôle de la compagne de Wolfe. Du sang sur la Tamise parvenait à exploiter une situation politique précise - les liens entre la mafia anglaise et les terroristes de l'IRA - tandis que La loi du milieu tenait en haleine avec la vengeance méticuleuse de Carter ; ici Tuchner ne parvient pas à s'élever au-dessus d'un script trop avare en moments d'intensité si on excepte la glaçante introduction et les dernières minutes.


Ainsi, Salaud se révèle agréable grâce à ses acteurs, à son efficacité sans fioriture et à la fascination qu'entraine le personnage de Kray/Dakin mais n'est pas le grand polar espéré. Il est l'un de ces films sans énorme défaut apparent mais qui souffrent trop de la comparaison avec leurs contemporains où leurs successeurs pour pouvoir laisser une marque durable dans l'histoire du cinéma si ce n'est dans les mémoires des spécialistes du genre, et qui montrent qu'une somme de qualités ne saurait remplacer la grâce. Il reste toutefois largement supérieur à la majorité des polars anglais récents si l'on excepte les films atypiques d'Hodges (Seule la mort peut m'arrêter) et Glazer (Sexy Beast). Pour la petite histoire, on notera avec surprise que le scénario est cosigné par l'acteur Al Lettieri qu'on a notamment pu voir dans le Parrain (le mafieux Sollozzo qui était tué par Michael Corleone dans le restaurant) ou dans certains films de Richard Fleischer.

3 commentaires:

  1. Petite faute: le chef d’œuvre Raoul Walsh
    Du sang sur la Tamise et The Offence me font vraiment envie, a suivre quand je les trouverai.

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  2. Corrigé. Le Mackenzie me semble prioritaire, le Lumet (qui existe en DVD) est un bon film mais qui ne me semble pas être ce que le réalisateur a fait de mieux. Je pense le chroniquer prochainement.

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