mardi 12 août 2014

Les Inconnus dans la ville (Richard Fleischer, 1955)



Dans une petite ville américaine, trois gangsters débarquent : Chapman (J. Carrol Naish), Dill (Lee Marvin) et Harper(Stephen McNally). Leur objectif est de cambrioler la banque d'Harry Reeves, voyeur amoureux de l'infirmière Linda, elle-même attirée par Fairchild (Richard Egan), un mari cocu. Martin (Victor Mature), pleutre aux yeux de son fils, trouve dans le cambriolage une occasion de redorer son image.

Cette tentative originale de Fleischer de mêler film de casse et mélodrame sentimental peut se targuer de disposer d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens. Sur le plan de la mise en scène, Les Inconnus dans la ville est une oeuvre tout aussi inspirée que les grandioses Barabbas ou Les Vikings. La confrontation entre le trio de gangsters d'une part et Martin et les amish d'autre part est exemplaire de tension, de perfection du cadre, de dynamisme. De même, l'attaque de la banque révèle une concision exemplaire et une sécheresse renforcée par sa brièveté. Si l'on excepte Victor Mature qui n'a que rarement donné des interprétations pleinement satisfaisantes (Le Carrefour de la mort et La Poursuite infernale permettant de confirmer la règle), le casting est également de premier ordre, notamment Stephen McNally et Lee Marvin en gangsters et Ernest Borgnine en religieux pacifique. Enfin, il y a une réelle virtuosité dans la manière font Fleischer passe d'un point de vue à l'autre lors des scènes durant lesquelles plusieurs personnages se retrouvent au même endroit, dans des buts très différents. Quelques agréables moments de creux (la discussion entre McNally et Marvin, la découverte des amish) permettent une respiration bienvenue dans un récit aussi méthodique qu'attendu.



Qu'est ce qui nous empêche donc de voir, comme un certain nombre de critiques, les Inconnus dans la ville comme un des grands films de Fleischer ? Beaucoup de choses, qui pourraient se résumer en une : le scénario. En terme d'efficacité narrative, de capacité à mettre en place des enjeux autour d'une dizaine de personnages et de résoudre simultanément toutes les situations conflictuelles, il est irréprochable. En terme de modernité des situations et de description des personnages en question, c'est autre chose. Hormis les gangsters (essentiellement caractérisés par leurs méthodes et leur tempérament plus que par leur vie personnelle), on est donc face à un couple dont la femme infidèle pousse le mari au désespoir, un bon père de famille dont le fils a honte du fait qu'il n'ait pas combattu lors de la seconde guerre mondiale, un banquier voyeur et une bibliothécaire voleuse. Une fois le film achevé, tous leurs problèmes auront disparu, chacun des " pêcheurs " mourant ou étant blessé avant de s'excuser du mal qu'il a commis. Ce caractère excessivement didactique et moralisateur tire le film vers le bas d'autant plus qu'il semble n'autoriser aucune bifurcation de la " bonne " ligne de conduite (les amish pacifistes seront contraints de se battre). Les derniers plans sur Victor Mature, enfin aimé par son fils après avoir éliminé les gangsters, sont quelque peu problématiques et même si d'aucuns y voient au contraire une fin en demi-teinte (la violence comme seule manière d'être admiré au sein de la société américaine), le reste du film laisse plutôt penser à une victoire triomphante du fier héros.



On reste tiraillé concernant Les Inconnus dans la ville, aussi admiratif devant la mise en scène qu'énervé par le schématisme de l'histoire. Il est un exemple de la faculté d'un (très) bon cinéaste à compenser un script moyen (il suffit de penser à ce qu'aurait donné le même scénario dans les mains de Michael Winner, par exemple) et la beauté des mouvements de caméra, l'efficacité des moments d'action comme l'excellent niveau d'ensemble de l'interprétation pèsent au final plus que l'aspect ultra-moralisateur. Pour ce qui est de présenter un hold-up du point de vue d'une ville entière, on reste très curieux de voir ce que peut donner le Mise à sac d'Alain Cavalier, malheureusement pratiquement introuvable.

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