jeudi 21 août 2014

Dans la chambre de Vanda (Pedro Costa, 2000)



Pedro Costa retourne dans le quartier de Fontainhas dans lequel fut tourné son film Ossos. Il capte le quotidien de l'actrice de Ossos, Vanda Duarte, de sa famille et des gens du voisinage. On y découvre une vie où la misère et la drogue cohabitent.

Dans la chambre de Vanda dure près de trois heures, durée qui le handicape et le sauve en même temps. Elle le freine car il serait mensonger de prétendre que les longueurs qui venaient à bout du plus patient des spectateurs dans La Maison de lave et Ossos ont disparu ; elle le tire vers le haut car elle vient à bout à la fois de notre incompréhension (dans la mesure ou Costa n'intervient jamais directement, il est longtemps difficile de comprendre les interactions entre les gens filmés, ce n'est qu'au bout d'un certain temps qu'elles deviennent plus limpides) et de notre incapacité à entrer dans leur univers. Vanda, Zita, Nhurro et les autres nous sont d'abord présentés comme des gens envers lesquels on ne peut guère s'identifier, mais la capacité de Costa à nous faire aimer les résidents et l'empathie de son regard font qu'on ne les quitte qu'à regret une fois familiarisé avec eux. Il est difficile de savoir quelle fut la part d'intervention du cinéaste dans la mise en scène des situations, mais la construction en longues séquences filmées en plan fixe ne laisse probablement qu'une part très réduite à la fiction. Si Vanda, sa famille et ses amis ont forcément conscience de la présence de la caméra chez eux, jamais il ne semblent modifier leur comportement en conséquence et l'impression de réalité demeure, quelle qu'ait pu être la place de Costa dans le processus.



Encore une fois, on peut être gêné par un certain misérabilisme qui venait plomber Ossos, mais Costa parvient parfois à compenser par quelque chose que l'on n'attendait guère : de l'humour. C'est Vanda qui, à court de feu, teste l'un après l'autre tous les briquets qu'elle a vidé dans l'espoir d'allumer son joint ; c'est Nhurro qui fait son ménage sans même poser ses seringues, c'est le voleur qui faute d'avoir trouvé de l'argent s'estime heureux d'être reparti avec deux yaourts, tout en priant pour qu'ils soient à la fraise. Ce climat d'absurdité, renforcé par le bruit incessant des pelleteuses venant détruire les maisons délabrées (dans lesquelles Nhurro a élu domicile) crée une fascination pour des moments qui sur le papier sembleraient dignes des pires émissions de télévision racoleuses : ainsi Vanda, après avoir pris de la cocaïne, vomit dans ses draps avant de se reprendre et de se mettre à chanter comme si de rien n'était. Même la mort horrible d'une amie proche est racontée avec une forme de détachement, comme si tout n'était qu'une mauvaise rêve dont chacun attendait la fin.



Dans la chambre de Vanda doit également beaucoup à son personnage principal, la Vanda éponyme. Droguée et bavarde, elle se révèle d'une patience et d'une humanité surprenante, accueillant un ami sans domicile, conseillant un autre sur la manière optimale de se piquer, rendant visite à sa sœur en prison. La séquence entre Pedro et Vanda ou celle-ci fait preuve d'une étonnante prévenance, à la limite du maternalisme, achève de faire d'elle une véritable figure salvatrice qui veillerait sur le monde perdu de Fontainhas. Si le bruit, la faim et le manque avilissent souvent les protagonistes, leur calme et la dignité avec laquelle Costa les filme fait parfois d'eux des martyrs des temps modernes, discutant entre eux de leur destinée (Vanda convaincue qu'ils sont là parce qu'ils ont tout fait pour, Nhurro totalement déterministe) entre deux séquences de shoot.

Il est difficile d'avoir un opinion tranché sur Dans la chambre de Vanda, " documentaire " éprouvant qui voit Costa sortir de l'impasse artistique dans laquelle ses deux précédentes tentatives l'avaient conduit. En l'état, il s'agit d'une oeuvre forte et dérangeante, qui faute d'être toujours du meilleur gout montre un cinéaste enfin en adéquation avec son sujet, son austérité habituelle se révélant ici beaucoup moins problématique dans la mesure ou comme souvent, le réel fournit à lui seul des moments bien plus étonnants que ceux des fictions.

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