Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
lundi 10 novembre 2014
La Planète sauvage (René Laloux, 1973)
Sur la planète Ygam, la civilisation dominante est celle des draags, géants de douze mètres dont la vie est rythmée par les heures de méditation. Leurs enfants jouent avec des oms, humains maintenus à un stade primitif par les draags. Le jeune Terr, dont l'intelligence pose rapidement problème, tente de s'évader en ramenant aux oms sauvages un collier de connaissance draag.
Si il y a bien un domaine dans lequel le patrimoine cinématographique français ne parvint jamais à faire honneur à son pendant littéraire, c'est bel et bien la science-fiction. Qu'on pense aux romans de Verne, Rosny l’aîné, Maurice Renard ou Jacques Spitz et l'on constatera la cruelle incapacité de l'hexagone à illustrer ceux-ci. La Planète sauvage fait ainsi figure d'exception qui doit beaucoup à la réunion de talents qu'elle sut convoquer : le génial Topor au scénario (Le Locataire chimérique adapté par Polanski, c'est lui), Stefan Wul à l'histoire originelle, René Laloux à la mise en scène et Alain Goraguer à la musique. Signalons que la bande-originale du film est l'une des plus fabuleuses de l'histoire du cinéma français et que l'album est une merveille instrumentale qui n'a rien à envier à L'Enfant assassin des mouches de Jean-Claude Vannier ou au Capot pointu de Michel Colombier. Le film fut réalisé dans le studio Jiří Trnka en Tchécoslovaquie et sur ce point, le rendu n'est pas totalement convaincant tant l'animation a vieilli et tant les personnages apparaissent comme figés (l'âge n'excuse pas tout et la comparaison avec les productions japonaises de l'époque est brutale). La monotonie du ton dans le doublage n'arrange rien et les voix exagérément neutres sont totalement inappropriées par rapport à l'univers du film.
Pour autant, La Planète sauvage est captivant lorsqu'il évoque les rapports entre les humains (ou plutôt les oms) et les draags. Certains hommes sont utilisés comme animaux de compagnie par les draags qui les traitent sans cruauté mais se méfient en revanche des oms sauvages, enchaînant de plus en plus fréquemment des " désomisations " qui font penser à une dispersion de pesticides sur des champs infectés d'insectes. Les oms sont d'ailleurs en position de faiblesse dans leur environnement et on n'est pas prêt d'oublier la scène de l'attaque d'une sorte de vautour-fourmilier géant dont la langue capture des humains sans défense. Ils n'ont que deux forces, leur nombre (ils grandissent beaucoup plus vite que les draags et par conséquent se reproduisent à une vitesse nettement plus élevée) et le fait que beaucoup de draags ne les considèrent pas comme étant assez intelligents pour constituer une menace, forces auxquelles s'ajoutent les connaissances draags dérobées par Terr. Si le film échappe au manichéisme en présentant des draags finalement plus proches de nous que ne le sont les oms, il est quelque peu dommage que l'influence de Topor ait conduit à des changements pas toujours pertinents par rapport au livre de Wul - la fin est moins crédible. Mais en ce qui concerne la réflexion sur un monde ou l'homme n'a qu'une place subalterne, La Planète sauvage est tout à fait à la hauteur d’œuvres plus célébrées telles que La Planète des singes.
Si La Planète sauvage n'a pas passé sans encombre l'épreuve du temps, elle n'en demeure pas moins l'une des tentatives les plus audacieuses et radicales de science-fiction française, qui échappe au manichéisme tout comme à la lourdeur et s'avère non dénuée d'une certaine force poétique (les courses pour échapper aux désomisations, la mort de la vieille dame, la formation des couples pour faire perdurer l'espèce). On peut regretter les difficultés connues par les piliers de l'animation française - Laloux, Paul Grimault - qui faute d'être soutenus par le système ne parvinrent pas à fournir de réelle alternative aux productions américaines et japonaises.
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