dimanche 30 novembre 2014

1974, une partie de campagne (Raymond Depardon, 2002)



Le documentariste Raymond Depardon suit Valéry Giscard d'Estaing, candidat à l'élection présidentielle de 1974, de l'annonce de sa candidature à sa victoire face à François Mitterand.

Paradoxe amusant : le film de Depardon aura connu des difficultés de conception dues à sa perception comme film de droite (le premier monteur auquel il fut présenté refusa de s'approcher d'un " film giscardien ") tandis que la censure opérée par le président lui donnera plus tard une réputation d'oeuvre de gauche. En réalité, il peut sembler quelque peu absurde de chercher du militantisme chez Depardon qui s'intéresse davantage aux hommes qu'aux idées et dont le sujet est ici plus proche de la stratégie que de la politique : on n'apprendra quasiment rien sur le programme de Giscard ou de ses opposants, pas plus que sur les réelles oppositions idéologiques entre Chaban-Delmas et lui, par exemple. Seules les stratégies semblent compter ici et on assiste moins à un débat sur le fond qu'à une partie d'échecs. Il y a toutefois très peu d'intérêt de la part de Giscard pour les personnalités de ses adversaires : Mitterand et Chaban ne semblent pas provoquer chez lui le moindre énervement. Il est en revanche prompt à mettre en valeur sa famille (ses filles qui font les titres du journal), à organiser des meetings particulièrement axés sur la communication " à l'américaine ". A l'époque, cette vision d'un Giscard cynique et manipulateur pouvait peut-être choquer, mais il est difficile pour le spectateur de 2014 de s'en émouvoir, sans doute parce que les méthodes employées sont devenues une norme et que l'austérité gaulliste ou mitterandienne a pratiquement disparu.



Quoi qu'on pense de sa politique - il est extrêmement difficile de chroniquer un documentaire de ce type en mettant de côté ses opinions personnelles - il faut reconnaître à VGE son impressionnante faculté de contrôle. Si le film de Depardon est évidemment une manière pour lui de mettre en scène sa jeunesse et sa modernité (on l'oublie parfois, mais il fut le plus jeune président de la Vème République), il ne semble pratiquement jamais oublier la présence de la caméra et reste mesuré y compris dans l'intimité. La séquence " problématique ", qui aboutira à la censure, apparaît aujourd'hui bien quelconque comparativement aux excès des hommes politiques en place. Elle est d'ailleurs plus drôle que polémique : on y voit Giscard, attendant les résultats du second tour, s'insurger contre la présence à la télévision de Michel d'Ornano. Il appelle Michel Poniatowski pour s'en plaindre, raccroche, constate à la télé qu'il devance François Mitterand et rappelle immédiatement Poniatowski pour critiquer d'Ornano. Qui plus est, il ne faudrait pas oublier que Giscard et d'Ornano furent des amis politiques de longue date et que cette dispute ne révèle rien politiquement (d'Ornano sera ministre sous l'ensemble du septennat giscardien).



1974, une partie de campagne est quelque peu frustrant. Souvent longuet (nombre de séquences n'apportent presque rien), parfois drôle (le tic de VGE de se repeigner), il possède les qualités et les défauts de la méthode Depardon : l'absence de voix-off, le montage qui saute d'une étape à l'autre sans crier gare évitent toute lourdeur démonstrative, toute idée de reportage à thèse. Mais nous devons faire avec un son de mauvaise qualité qui rend certaines discussions inaudibles et avec une chronologie parfois très difficile à suivre. Quelques beaux moments ou Depardon parvient à capter quelque chose de fort, comme les manœuvres d'immobilisme de l'entre-deux tours ou la nervosité devant l'attente des résultats, surnagent dans un ensemble trop disparate. Autant qu'un témoignage historique sur un changement de mode de communication, il s'agit également d'un type de reportage résolument aux antipodes des normes médiatiques contemporaines, sans humour factice et sans connivence avec le spectateur, le tout aboutissant à un documentaire plus intéressant que réellement enthousiasmant.

jeudi 27 novembre 2014

Aux frontières de l'aube (Kathryn Bigelow, 1987)



Un jeune fermier, Caleb (Adrian Pasdar) rencontre une jolie femme égarée, Mae (Jenny Wright). Il tente de la séduire, mais Mae le mord. Après avoir été transformé en vampire, Caleb est capturé par les compagnons de Mae : Jesse (Lance Henriksen), Diamondback (Jenette Goldstein), Severen (Bill Paxton) et Homer (Joshua John Miller). 

Deuxième film de Bigelow et début de sa collaboration avec le scénariste Eric Red, Aux frontières de l'aube marque une très nette avancée depuis The Loveless. L'univers de la réalisatrice est ici totalement en place avec tous ses thèmes récurrents : l'addiction, le tiraillement du héros entre un univers monotone et un monde de danger, la tentation du mal. Caleb est converti au vampirisme par Mae (qui avait vraisemblablement choisi de le tuer avant de changer d'avis), elle-même anciennement mordue par Homer. Ils forment avec Sarah, la sœur de Caleb, un carré amoureux : Homer, jaloux du fait que Mae lui préfère Caleb, tente de convertir Sarah en dynamitant ainsi l'équilibre précaire installé dans le groupe. Les vampires sont attachants car en dehors du fou furieux Severen, Bigelow les traite comme des figures ambiguës : Jesse et Diamondback, le couple moteur du groupe, sont vampirisés depuis si longtemps qu'ils ne se rappellent même plus leur rencontre. Homer est un vieillard coincé dans un corps d'enfant tandis que Mae, à la fois victime et femme fatale, est certainement le personnage le plus complexe du film et l'une des plus belles figures vampiriques vues au cinéma. Tous sont définis de manière minimaliste mais Bigelow et Red parviennent systématiquement à faire passer l'essentiel, comme lors de leur première chasse (Jesse et Diamondback qui s'amusent ensemble, Homer qui joue de sa fausse vulnérabilité, Severen beaucoup plus entreprenant).



Derrière la question des vampires - le mot n'est jamais employé - , il y a un groupe de dévoreurs effrénés qui consomment et consomment toujours (voir la scène du bar, interminable tuerie ou les tueurs semblent conditionnés bien plus par l'amusement que par la faim), là ou la famille agricole de Caleb se contente d'un mode de vie simple. Cette thématique est amplifiée par un visuel qui rappelle fortement le western, mais un western lent, mélancolique et atmosphérique. On trouve dans Aux frontières de l'aube de saisissantes idées : Mae nourrissant Caleb de son propre sang lorsqu'il refuse de tuer (moment d'une rare puissance érotique), les courses de Caleb brûlant progressivement au soleil, Homer qui se consume littéralement d'amour ou encore la fusillade ou les vampires ne craignent pas les balles mais les rayons lumineux que celles-ci créent en perçant les murs. La musique de Tangerine Dream est parfaite synchrone au ton général et les membres de la distribution rivalisent de charisme, de la superbe Jenny Wright au cabotin Bill Paxton en passant par le regard nostalgique de Lance Henriksen ou la souffrance d'Adrian Pasdar.


Dans Aux frontière de l'aube, la vampirisation n'est pas tant une malédiction qu'un choix de vie. Caleb peut ainsi prendre un mauvaise route - le moment ou il tente de rentrer chez lui évoque clairement la toxicomanie - mais aussi s'en détourner avec de l'aide. Le happy-end est ainsi quelque peu brutal mais en accord avec une vision relativement originale du vampirisme. Aux frontières de l'aube fera d'ailleurs école tant esthétiquement (le Vampires de Carpenter lui doit beaucoup) que thématiquement. Plus encore que l'excellent Les Prédateurs de Tony Scott, il s'agit de la réactualisation du mythe la plus aboutie des années 80 ; car si Aux frontières de l'aube est évidemment ancré dans son époque (la musique, les filtres bleutés), il aura su transcender l'air du temps pour donner l'un des classiques les plus sous-estimés aujourd'hui encore. Bon, à ce stade, il est peu probable que vous n'ayez pas compris le message : Aux frontières de l'aube est un film magnifique.

lundi 24 novembre 2014

Lady Yakuza 6 : Le retour d'Oryu (Tai Kato, 1970)


Oryu (Junko Fuji) retrouve la jeune Okimi qu'elle avait promis de protéger. Celle-ci est amoureuse de Ginji, un homme du clan Sanezu dont le leader cherche à s'approprier un théâtre. Oryu est sauvée d'une attaque par Aoyama (Bunta Sugawara), traqué par le clan Sanezu pour avoir frappé un de leurs alliés responsable de la mort de sa sœur.  

Si nous en sommes au sixième volet de la saga, l'intrigue de celui-ci prend en réalité la suite de celle de Lady Yakuza 3 : le jeu des fleurs, déjà réalisé par Tai Kato. Oryu est donc à la recherche de la petite fille orpheline et jure de la protéger une fois retrouvée, à ceci près que l'infâme clan Sanezu a déjà fait main basse dessus. Et comme souvent l'on assiste au cas de conscience d'un des hommes de Sanezu amoureux et aimé d'Okimi tandis qu'Oryu s'amourache d'un yakuza solitaire qui l'aidera à affronter le clan ennemi. On notera que pour la première fois, celui-ci est incarné par Bunta Sugawara qui avait joué un méchant dans le second épisode, constituant le premier cas de " promotion " là ou les habituels Ken Takakura et Koji Tsuruta étaient quant à eux abonnés aux rôles de gentils. Le choix de Sugawara est doublement pertinent, d'abord parce qu'il se révèle tout à fait à la hauteur de ses prédécesseurs et que sa relation avec Oryu est l'une de celles qui fonctionnent le mieux de la série, ensuite parce que Sugawara n'est pas sans dégager une forme de brutalité ambiguë qui donne un certain relief à son personnage.



On peut juger Lady Yakuza 6 selon deux critères, son scénario ou sa mise en scène. L'appréciation générale dépendra fortement de l'importance qu'on attache à chacun d'eux car il s'agit à la fois d'un des plus brillants ninkyos sur le plan formel, mais aussi d'une énième resucée de tous les thèmes déjà entrevus auparavant. Encore une fois, on ne coupera pas à une séquence de jeu de cartes remportée par Oryu malgré les tricheries adverses, encore une fois le chevalier servant lui sauvera la vie avant une scène de romance sur un pont, encore une fois le " bon " parrain yakuza mourra assassiné traîtreusement mais demandera à ses hommes de ne pas le venger,  encore une fois Kumatora apparaîtra trois minutes pour casser la figure à quelques malandrins. Il semble que Suzuki soit arrivé au bout des combinaisons narratives possibles et se contente de répéter inlassablement les mêmes formules, avec parfois quelques micro-variations (les artisans ou paysans molestés par le mauvais clan deviennent des acteurs de théâtre). Ceci dit, l'histoire y est relativement plus sèche que d'habitude (personne ne finit totalement épargné) et atténué légèrement l'altruisme hors du commun dont Oryu semble incapable de se départir.



Si Kato Tai ne bénéficie donc pas d'un script lui permettant de signer un grand yakuza-eiga, il réalise toutefois ce qui est peut-être la plus belle mise en scène de la saga, encore supérieure à celle de son excellent épisode 3. Chaque plan serait à étudier en école de cinéma tant sa science du cadre y est incroyable, Tai n'hésitant pas à multiplier les longs plans fixes dynamisés par les mouvements des personnages à l'intérieur tel ce moment de bravoure de sept minutes durant lequel la jeune Okimi finit par reconnaître Oryu. Rares sont les cinéastes capables de donner autant d'intensité sans bouger leur caméra (Kobayashi ? Ozu ?) et les plans déroutants filmés depuis le sol finissent toujours par se révéler d'une grande pertinence. Les séquences sous la neige sont magnifiques et Tai surprend encore lors du catharsis final ou un montage plus sec, une nervosité bienvenue et quelques giclées de sang bien placées achèvent de transformer la conclusion en grand moment de bravoure.
Du coup, ce Lady Yakuza 6 nous apparaît comme un bon cru global (surtout après les médiocres épisodes 4 et 5) ou le sens visuel de Tai Kato vient élever un ensemble de situations convenues et archétypales.

samedi 22 novembre 2014

Ne change rien (Pedro Costa, 2009)



Jeanne Balibar répète l'enregistrement d'un album avec Rodolphe Burger sous l’œil de la caméra de Pedro Costa qui filmera également la chanteuse lors d'un concert, d'un cours de champ ou d'une opérette. 

Toutes les belles choses amorcées dans le documentaire de Costa sur les Straub prennent ici une autre dimension. Déjà parce qu'à l'inverse du duo de cinéastes qu'on entendait trop souvent pérorer sur l'état du cinéma, Jeanne Balibar n'est filmée qu'au travail. Et si il existe une sorte de mythe hollywoodien, ressassé de biopic en biopic, sur l'artiste inspiré dont le génie semble aller de soi, Costa en construit ici le contrechamp où la transpiration prend totalement le pas sur l'inspiration.. Qu'il s'agisse d'enregistrer un album aux côtés du musicien Rodolphe Burger (chanteur-guitariste de Kat Onoma), de répéter une opérette ou de jouer en public, Balibar est filmée comme un artisan au travail, répétant les mêmes gestes jusqu'à ce que l'opération la satisfasse. La confrontation avec le public n'intéresse pas Costa, celui-ci est systématiquement hors-champ si l'on excepte un plan sur un duo de japonais inexpressifs, probablement filmés pour situer le lieu du concert plutôt que pour capter la réceptivité des gens à la musique. Ce parti-pris assez radical fonctionne de bout en bout et c'est en débarrassant les artistes de toute mythologie encombrante, de toute complaisance filmique que Costa parvient à faire d'eux des passionnants sujets de cinéma.



Comme pour ses œuvres de fiction, Costa utilise de longs plans fixes composés à la perfection ; Ne change rien doit comporter en tout et pour tout une vingtaine de plans dont le plus long (huit minutes) est le plus saisissant : Balibar, cadrée en très gros plan, répétant face à une professeur de chant lyrique hors-champ qui ne cesse de l'interrompre. L'effort apparaît de plus en plus difficile, l'énervement de la chanteuse finit par transparaître derrière le masque de professionnalisme et un léger décalage humoristique pointe le bout de son nez. Au contraire, les répétitions pour l'enregistrement de l'album dégagent une forte convivialité en grande partie due à la figure apaisante de Rodolphe Burger, qui semble ici d'une patience inépuisable. Cette proximité ne va pas sans une certaine routine qui est aux antipodes de l'état d'esprit lié au rock and roll, et on peut se demander si l'univers rassurant dans lequel Balibar chante n'empêche par la brutalité et l'imprévisibilité typiques des grandes créations artistiques. Les scènes de concert sont également hiératiques, peut-être trop propres dans leur austérité.



En dépit de ces quelques réserves liées également au style ascétique de Costa peu enclin à suggérer la frénésie, Ne Change rien est le meilleur documentaire du cinéaste et son plus beau film depuis son Le Sang inaugural. Si son sujet n'est pas a priori le plus captivant au monde (une heure quarante à entendre Jeanne Balibar chanter peut évidemment effrayer), il lui évite le misérabilisme de ses œuvres sur le quartiers pauvres de Lisbonne, tandis que les répétitions musicales finissent par trouver une grande force hypnotique. Après avoir été épuisée par sa professeur, Balibar s’inquiète du fait que le frigo soit vide tandis que Burger tente de refréner son rire lors d'une séance d'enregistrement peu fructueuse. Pas d'opposition, pas d'intervention extérieure, seulement un groupe de musiciens armés d'une bonne volonté parfois insuffisante. Le moindre détail sur le placement d'une voix, sur un moment de silence ou sur l’entame d'une phrase peut provoquer des contraintes difficilement surmontables et rarement l'on aura vu un cinéaste rendre avec autant de méticulosité le côté parfois laborieux de la création artistique. Le noir et blanc minimaliste qui ne rend parfois visibles que quelques éléments du cadre (une partie du visage de Balibar, Burger et sa guitare, le bassiste) est absolument splendide et d'une étonnante cohérence lorsqu'on sait que Costa a souvent " délégué " la prise en charge de la lumière. Enfin, Ne change rien ferait probablement l'une des meilleures portes d'entrée au cinéma de Costa, relativement plus accessible que ses précédents essais.

mercredi 19 novembre 2014

Le Lézard Noir (Kinji Fukasaku, 1968 )



Le détective Akeshi (Isao Kimura) est chargé de veiller sur la jeune Sanae (Kikko Matsuoka), la fille d'un bijoutier qu'une mystérieuse organisation cherche à enlever. Akeshi parvient à la sauver mais la chef du gang, surnommée le lézard noir (Akihiro Miwa) lui échappe. La criminelle et le détective ne sont d'ailleurs pas sans éprouver une forte attirance l'un pour l'autre.

Première et plus connue des deux collaborations entre Fukasaku et le célèbre travesti Akihiro Miwa (viendra l'année suivante une Demeure de la rose noire plus mélodramatique et moins convaincante), Le Lézard Noir tient une place tout à fait singulière dans la filmographie du maître. Là ou ses polars 60's, faute d'être totalement aboutis, annonçaient par à-coups le style de ses futurs grands films de yakuza, le Lézard Noir est au contraire un film stylistiquement aux antipodes de son univers brutal et chaotique, finalement plus proche des œuvres délirantes tournés par Seijun Suzuki pour la Nikkatsu. L'ambiance est on ne peut plus kitsch, les couleurs vives et on n'hésite pas à s'envoyer des serpents à la figure ou à remplacer des jeunes femmes dans leur lit par des poupées. On se déguise en bossu, on s'affronte dans une galerie de poupées humaines au sein de laquelle on retrouve l'écrivain Yukio Mishima statufié après un duel au couteau et le scénario adapté de Rampo ressemble à un mélange détonnant de Fantomas et de Sherlock Holmes qui n'aurait guère qu'un équivalent qualitatif par ailleurs sorti la même année : le génial Danger : Diabolik ! de Mario Bava. Si la mise en scène est plus sage que d'habitude, Fukasaku nous gratifie d'un bon nombre de zooms brutaux qui mettent en valeur la délicieuse photographie colorée.



Evidemment, le fait d'avoir pour personnage principal une femme jouée par un homme autour de laquelle gravitent tous les personnages masculins n'est pas sans conférer au Lézard Noir un érotisme quelque peu inhabituel. Il faut dire qu'Akihiro Miwa est un acteur (une actrice ?) au charisme évident et au charme atypique. Le récit contient d'ailleurs quelques fulgurances notables telles que la jeune femme nue enfermée dans la valise, la première confrontation Akeshi-Miwa ou la visite durant laquelle le spectateur découvre les poupées humaines ; on n'oubliera pas non plus la scène durant laquelle le policier amputé d'une main sort d'une baignoire rictus aux lèvres dans un grand moment d'excès surréaliste. Le couple de jeunes amoureux suicidaires est également l'un des plus étranges et originaux rencontrés au cinéma : la doublure de Sanae et l'adjoint du lézard noir s'accordent sur le fait qu'ils ne peuvent pas s'aimer sur terre mais deviennent joyeux en constatant qu'il n'y aura plus aucune barrière entre eux par-delà la mort. Le lézard noir parvient à trouver un équilibre difficile entre ses différentes dimensions : la comédie, le morbide, le décoratif et l'érotisme. Jamais l'une de ses facettes ne vient occulter les autres et le dosage opéré par le cinéaste est plus harmonieux que celui de La Demeure de la rose noire.



Le Lézard Noir porte esthétiquement la marque de son temps, mais ses outrances restent tout aussi agréables à l’œil aujourd'hui. Si il n'atteint pas tout à fait la hauteur des sommets suzukiens de l'époque (La Marque du tueur, Le Vagabond de Tokyo ou La Barrière de la chair), le film de Fukasaku est tout à fait à la hauteur de son statut culte et montre un cinéaste capable de se fondre dans une esthétique radicalement opposée à celle qui constituait sa marque. Aux côtés du Samouraï et le Shogun et de Battle Royale, il demeure l'une de ses réussites les plus marquantes en dehors du film de yakuza. Il est évidemment nécessaire d'avoir une certaine réceptivité au pop'art et à un visuel surchargé pour l'apprécier, mais il peut également constituer une initiation à l'univers du metteur en scène pour des spectateurs peu enclins à apprécier les cadrages penchés et les histoires de conflits entre clans. Quoi qu'il en soit, Le Lézard noir est un film immanquable et l'une des meilleures adaptations de Rampo au cinéma.

mardi 18 novembre 2014

Romeo Is Bleeding (Peter Medak, 1993)


Jack Grimaldi (Gary Oldman) se remémore son histoire. Alors qu'il n'était qu'un petit flic mesquin et corrompu, Don Falcone (Roy Scheider) l'avait contacté afin d'éliminer une ancienne employée, la vénéneuse Mona Demarkov (Lena Olin). Grimaldi tenta alors de jouer sur les deux tableaux en se faisant payer par Demarkov pour organiser sa fausse mort.

On a beau aimer le film noir, on a beau adorer les femmes fatales tant à l'époque que plus récemment chez Lawrence Kasdan, John Dahl ou même David Fincher, il vient un moment ou celles-ci ne peuvent tout porter sur leurs seules épaules. Et soyons honnêtes, Lena Olin campe peut-être ici la pire garce de l'histoire du cinéma, titre ne pouvant lui être disputé que par la Linda Fiorentino de Last Seduction. Elle n'est pas ambivalente ni même complexe, elle est tout simplement démoniaque. Medak la filme comme une créature maléfique pour qui les hommes ne sont que des pantins et dont la cruauté ne semble avoir aucune limite (le meurtre de la maîtresse d'Oldman est totalement gratuit). Petit à petit, elle conduit le film dans une dimension fantasmagorique qui a ses défenseurs mais pâtit malheureusement d'un scénario atrocement mal écrit signé par la productrice du film, Hilary Henkin, dans lequel les facilités et les coïncidences s'accumulent.



On trouvera donc dans Romeo Is Bleeding : une Lena Olin qui après s'être fait tirer une balle dans le pied arrive à distancer Gary Oldman en s'enfuyant ; un parrain de la mafia (Roy Scheider, très bon) qui malgré son armée de gorilles parvient à se faire enlever par une unijambiste et deux sbires bien peu effrayants ; une scène de crime durant laquelle Lena Olin s'ampute tout naturellement d'une jambe pour faire croire à sa mort ; une manipulation psychologiquement incompréhensible (pourquoi faire du mal à Oldman AVANT de le manipuler, là ou la plus élémentaire logique consisterait à abattre son jeu le plus tard possible ? ) ; des collègues d'Oldman qui font relativiser l'incompétence des policiers vus dans des récents films sud-coréens (mention à la dernière confrontation Oldman/Olin ou on en vient vraiment à se demander ce à quoi ils servent) ; un héros décidé à se venger tirant sur une femme de dos sans s'assurer de son identité ; des hommes de main qui préfèrent casser les doigts d'Oldman avant qu'il tue quelqu'un pour eux, car on est toujours plus efficace avec deux doigts en moins...
Chacune de ses grosses ficelles aurait pu fonctionner pour peu qu'elle soit prise isolément. Or, on passe de l'une à l'autre avec le sentiment que le script franchit largement la limite au-delà de laquelle la suspension d'incrédulité ne peut plus fonctionner. Medak cherche la scène choc mais pour en arriver là, il faut souvent en passer par des rebondissements à la William Irish (par ailleurs grand écrivain) qui paraissent totalement artificiels.



Tout ceci est bien dommage car Romeo Is Bleeding était loin d'être dénué de qualités. Gary Oldman compose une figure atypique de flic peu sympathique, prétentieux et immature, accro aux femmes et pigeon idéal, et parvient à nous attacher à ce qui demeure pourtant un pauvre type. Lena Olin est étincelante et les excellents seconds rôles (Juliette Lewis, Annabella Sciorra) ne déméritent pas. Dariusz Wolski, futur chef opérateur de Dark City, et le compositeur Mark Isham parviennent à donner à Romeo Is Bleeding une ambiance originale, et les dernières minutes étonnamment apaisées, dans lesquelles Oldman fait face à ses angoisses et ses échecs, trouvent une justesse et une émotion que l'on n'attendait plus. On reste toutefois sur un sentiment de gâchis, d'autant plus que si le scénario est le problème principal, il n'est pas le seul (une voix-off omniprésente utilisée avec beaucoup moins de virtuosité que chez Scorsese, des dialogues parfois énervants dans leurs lieux communs type " le problème avec l'amour, c'est que vous ne le trouvez pas ; c'est lui qui vous trouve ") et que les diverses qualités réelles mentionnées par ses défenseurs n'occultent guère la déception par rapport à sa réputation flatteuse.

dimanche 16 novembre 2014

Shanghai Grand (Poon Man-Kit, 1996)



Hui Man-keung (Leslie Cheung), membre d'un groupe d'indépendantistes taïwanais, voit ses compagnons être assassinés et échappe de peu à leur sort. Il rencontre Ding Lik (Andy Lau) avec lequel il s'allie pour former une association de gangsters, mais Hui et Ding Lik finissent par découvrir qu'ils aiment la même femme.

Poon Man-Kit n'a réalisé que deux films disponibles aujourd'hui dans nos contrées : Le Parrain de Hong Kong et celui-ci, tous deux relevant du registre de la fresque mafieuse. Le premier, en dépit d'une belle prestation de Ray Lui et d'une reconstitution très soignée, était lourdement handicapé par sa longueur et son académisme qui donnaient l'impression de voir une copie de Scarface privée de souffle. Shanghai Grand se révèle plus agréable, en partie car il échappe à cet aspect sclérosé par le biais de moments de sadisme (le massacre des taïwanais) ou de délire (Andy Lau attaqué par un python). Sans être le plus brillant des réalisateurs ayant travaillé pour la Workshop, Poon Man-Kit se révèle ici tout à fait capable d'orchestrer une scène à suspens tendue ou une fusillade de rue. Le rythme y est maintenu jusqu'au bout et la belle photographie typique des productions Tsui Hark rend Shanghai Gtrand tout à fait plaisant visuellement, moins daté que certains polars d'époque ; la reconstitution du Shanghai des années 30 est aussi agréable à l’œil que le thème musical l'est à l'oreille, et la séquence ou nos héros se font tabasser avant que Leslie Cheung ne dégaine un flingue sorti de nulle part est mémorable.



Si Shanghai Grand est convaincant rythmiquement et visuellement, il l'est beaucoup moins sur le plan scénaristique. En premier lieu, le personnage d'Andy Lau est clairement moins intéressant que celui de Leslie Cheung, d'ou un binôme déséquilibré. Les coïncidences narratives s'accumulent (Cheung qui connait Ching Ching sans savoir qu'elle est aimée de Lau, le lien entre le père de celle-ci et l’exécution des taïwanais) et se concrétisent dans une scène finale qui peine à se justifier : la rivalité fratricide n'a plus lieu d'être et le tragique apparaît comme forcé. L'introduction de l'activiste qui finit par attaquer Andy Lay n'est pas non plus très convaincante, et si l'idée d'entrecouper le film d'un long flashback sur l'histoire de Leslie Cheung est originale, elle se révèle assez laborieuse dans son déroulement. On a parfois le sentiment que le problème est exactement inverse par rapport au Parrain de Hong Kong : si celui-ci était trop attentiste et poseur, ici subsiste souvent l'impression que le matériel scénaristique aurait nécessité un film plus long et qu'à vouloir tout condenser en une heure et demie, Poon Man-Kit finit par s’emmêler les pinceaux (la série dont est tiré le film durant quand même 23 épisodes).



Bien aidé par un personnage intriguant et charismatique, Leslie Cheung réalisé une excellente prestation tandis qu'Andy Lau semble moins à son aise. En revanche, la composition de Ling Jing est beaucoup plus problématique et on peine à comprendre la fascination qu'elle exerce sur les protagonistes masculins, au contraire de la vénéneuse Almen Mui-ha Wong au personnage délicieusement outrancier - portant la marque du producteur Tsui Hark dont la filmographie est remplie de personnages féminins extrêmement forts -.
Contrairement au Japon ou aux Etats-Unis, Hong-Kong n'a que peu fréquenté le territoire de la fresque mafieuse (on exclue le cas des heroïc bloodshed, qui sont des films d'action avant d'être des études sur la criminalité) et n'a pas donné d'équivalents sur le plan qualitatif aux sagas Le Parrain ou Combat sans code d'honneur. Toutefois, ce Shanghai Grand fait partie des tentatives les plus réussies avant que Johnnie To n'impose sa marque sur le genre et lui donne les grands films que l'on connait aujourd'hui (The Mission, Election 1 et 2, Exilé) et on peut remercier les équipes de HK Video d'avoir eu l'excellente idée de le placer dans les bonus du double DVD de Gunmen.

vendredi 14 novembre 2014

Hercule contre les fils du soleil (Osvaldo Civirani, 1964)


A la suite d'un naufrage dont il est le seul survivant, Hercule (Mark Forest) se réveille sur les côtes péruviennes. Attaqué par des indigènes, il ne doit sa survie qu'à l'arrivée du prince inca Maytha (Giuliano Gemma), fils du roi légitime emprisonné par son propre frère. Après avoir sympathisé avec Maytha, Hercule décide de se battre aux côtés des incas pour libérer le roi légitime.

Il est toujours difficile de juger un film en dehors de son contexte de visionnage. Découvert en même temps que les meilleurs Hercule de Francisci ou Cottafavi, le film de Civirani aurait paru être un affreux navet. Au contraire, vu peu de temps après Hercule l'invincible et Le Triomphe d'Hercule, il semble largement plus regardable en comparaison. Pas d'humour envahissant, pas de méchants aux plans totalement idiots, pas de prestation calamiteuse de Dan Vadis mais au contraire le retour de Mark Forest, qui avait porté sur ses épaules La Vengeance d'Hercule avant de partir incarner Maciste. Si Forest reste avec Steeve Reeves l'un des meilleurs comédiens parmi les culturistes s'étant succédé à l'époque, il incarne ici un héros autrement moins riche que chez Cottafavi. De même, Giuliano Gemma est correct mais employer un acteur aussi bondissant dans un rôle si rigide n'était sans doute pas une idée très brillante et il est loin d'être aussi marquant que dans Les Titans ou dans ses meilleurs westerns. On ne s'en relèvera pas la nuit mais pour la première fois depuis un bon nombre de films, le casting de cet Hercule là est à peu près réussi au sens ou les acteurs ne prêtent pas à rire d'eux. Toujours ça de pris.

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Il s'agit du premier Hercule totalement délocalisé puisque notre héros se retrouve dans l'Amérique précolombienne. Si l'on a souvent vu son rival Maciste se téléporter dans des époques saugrenues (l'année 1963 avait d'ailleurs vu la sortie de Tarzan chez les coupeurs de tête, un Maciste se déroulant déjà au Pérou), c'est le fils de Zeus qui s'en va ici à la chasse aux incas (sortiront dans la foulée Maciste, vengeur du Dieu maya, et le délirant Samson et le trésor des incas, mi-péplum mi-western spaghetti ! ). Le moins qu'on puisse dire est que leur utilisation laisse à désirer : le contexte local n'est pratiquement pas esquissé en dehors de quelques danses à la figuration famélique et d'images de lamas provenant d'un autre film, on ne cherche même pas à expliquer comment il se fait que durant l'antiquité grecque les incas ont visiblement la même technologie qu'au XVI ème siècle (et le même roi puisqu'il s'agit déjà d'Atahualpa). La justification de l'arrivée d'Hercule est expédiée en un naufrage et globalement, le film est d'une linéarité et d'une prévisibilité absolues : usurpateur, prince sympathique, princesse capturée et héros musculeux forment les ingrédients d'un cocktail dont on a fini par se lasser d'autant plus que le micro-charme lié à la délocalisation s'éteint rapidement. Les seconds rôles sont inexistants (mention spéciale à la femme de l'usurpateur) et seuls détonnent quelques courtes scènes étranges durant lesquelles le roi emprisonné monologue face à un oiseau, scènes flirtant avec le ridicule mais portées par la conviction de l'acteur. A la fin, Hercule ne peut pas retourner chez lui mais ne semble pas s'en émouvoir outre-mesure : peut-être savait-il déjà les films qui l'attendaient à son retour en Grêce ?



Au fond, cette jungle de toc issue probablement d'une quelconque zone de la banlieue romaine est à l'image d'Hercule contre les fils du soleil : grotesque mais amusante. Si le spécialiste Florent Fourcart y voit l'un des plus désastreux péplums jamais tournés, il n'en reste pas moins qu'il se regarde avec beaucoup moins d'ennui que ses prédécesseurs et que sans être convaincantes - n'exagérons rien - les batailles sont un tout petit peu plus nombreuses. On notera la curieuse proximité des armes de guerre incas avec celles des romains, proximité qui va jusqu'à leurs goûts vestimentaires tant leurs guerriers ressemblent à des légionnaires avec des casques à plumes ! Au moins cet opus là tentait-il de faire basculer un genre moribond dans une direction nouvelle. Reste qu'évidemment, on recommandera à tout personne censée de passer son tour, notamment pour les 99 % de la population française qui n'entretiennent pas de passion débordante à l'égard du péplum italien.

jeudi 13 novembre 2014

Quand les aigles attaquent (Brian G. Hutton, 1968)


En 1944, le major anglais Smith (Richard Burton) et le lieutenant américain Schaffer (Clint Eastwood) mènent une escouade de sept hommes chargée de délivrer un général américain capturé par les nazis et emprisonné dans un château en Autriche. Mais il apparaît rapidement que les allemands ont des espions au sein du commando.

Les films de commando les plus emblématiques (Les Douze salopards d'Aldrich, Enfants de salauds d'André De Toth) créent la plupart du temps un suspens lié aux fortes caractérisations des personnages : repris de justice, violeurs, psychopathes et autres baroudeurs sont souvent convoqués pour accomplir une mission ensemble... Si toutefois la fine équipe parvient à ne pas s'entretuer avant. Quand les aigles attaquent est tout à fait différent sur ce point, pratiquement minimaliste. Tous les membres du commando sont des professionnels, et leurs interactions ne débordent pas de ce cadre. On se fiche de qui s'entend avec qui, la seule véritable question est de savoir pour quel camp travaillent réellement Smith, Schaffer et les autres, et la très longue mise en place n'est alors pas du tout gênante puisqu'on comprend qu'elle est l'occasion pour chacun d'avancer ses pions sur l'échiquier, jusqu'à une confrontation générale à la tension exemplaire. Encore une fois, Clint Eastwood demanda au réalisateur de lui épargner le maximum de lignes de dialogues, choix qui fait encore mouche pour une raison diamétralement opposée à celles justifiant son mutisme léonien : ici, Schaffer est sans doute le personnage disposant du moins d'informations comme d'appuis (il est le seul américain d'un commando anglais parachuté en pleine Autriche, situation guère enviable) et donc une personnalité en retrait - dans un premier temps - auquel le spectateur s'identifie puisqu'il est celui dont la fiabilité est la moins douteuse, a contrario d'un Smith on ne peut plus suspect.



Si la première partie joue donc habilement sur des retournements de situation un poil complexes (il devient au bout d'un moment très difficile de distinguer les agents triples des agents quadruples ! ), la seconde est un festival d'adrénaline de plus d'une demi-heure ou nos héros alignent plus de cadavres que Chow Yun-fat chez John Woo. Il faut à ce propos rendre grâce à la mise en scène de Hutton, moins viscérale que celle d'Aldrich mais irréprochable dans sa modestie artisanale d'une efficacité redoutable. Le combat à un contre deux sur le téléphérique est d'une lenteur qui confine au sadisme (les longs plans sur le traître mort de peur, à deux doigts de faire une chute mortelle) et montre à quel point il n'y a pas besoin d'un montage hystérique pour capter l'attention du spectateur. Certains critiques ont pu reprocher au film son absence d'ellipses, le fait que les personnages ne fassent jamais cinq mètres hors-champ, mais c'est là l'une des grandes forces de Quand les aigles attaquent : le film raconte une mission, rien qu'une mission mais la totalité d'une mission. Il ne cherche aucunement à se prévaloir d'ambitions thématiques hors de propos, mais ausculte chaque étape de la progression des anglais au microscope.



Enfin, Quand les aigles attaquent profite parfaitement de son superbe décor (le château constituant le quartier général nazi est impressionnant) et déploie toute une variété de scènes d'action : dynamitage des postes stratégiques, poursuites motorisées dans la neige, fusillades dans les couloirs ou même lors d'une descente en rappel, moments d'infiltration un chouia plus subtils... On ne s'ennuie jamais et les deux heures et demie passent comme une lettre à la poste. Si Burton et Eastwood n'effectuent pas ici de prestations oscarisables, ils sont crédibles dans leurs rôles de durs à cuire intrépides et c'est bien tout ce qu'on leur demande. Minuscule bémol lié aux conventions d'époque : le fait que tous le monde s'exprime en anglais, y compris les nazis, empêche tout jeu sur le langage souvent au cœur de la mécanique des films de commando (un des meilleurs exemples récents étant Inglourious Basterds). Mais les quelques micro-réserves disséminées dans cette critique ne doivent pas occulter le grand plaisir pris devant un film formellement classique mais ayant très bien passé l'épreuve du temps, par un cinéaste qui deux ans plus tard prouvera avec De l'or pour les braves qu'il était tout aussi compétent dans la fantaisie antimilitariste que dans le film de guerre premier degré.

mardi 11 novembre 2014

Avec Django, la mort est là (Antonio Margheriti, 1968)



Django (Richard Harrison) participe à un casse avec ses amis Ritchie et Mendoza (Claudio Camaso). Ils sont trahis et Mendoza meurt en couvrant leur fuite tandis que, plus tard, cinq hommes assassinent Ritchie. Django part à leur recherche mais ne découvre l'identité que de quatre d'entre eux, tout en étant lui-même suivi par un détective chargé de retrouver l'or dérobé. 

Après un Joe l’implacable lorgnant furieusement sur le mélange de western et d'espionnage façon Les Mystères de l'ouest, Avec Django, la mort est là constitua la seconde incursion de Margheriti dans le monde spaghetti. Il s'agit toutefois du premier dans lequel il tente d'y transférer l'univers gothique qu'il avait su mettre en place avec talent dans La Danse macabre ou La Vierge de Nuremberg. Django est ultra-rapide, se remet de toutes les attaques (après une journée à se faire brûler les yeux au soleil, il y voit toujours clair) et poursuit de sa haine les assassins de ses amis. En réalité, tout cela ne fonctionne guère ; avant tout, parce que Richard Harrison est un acteur absolument calamiteux. Son jeu mono-expressif tente laborieusement d'imiter Clint Eastwood ou Franco Nero mais son absence de charisme est criante. Il n'est pas non plus aidé par les choix narratifs de Margheriti : coller un monologue aussi pénible que long à son héros au bout d'une demi-heure pour obliger celui-ci à nous révéler l'ensemble de ses motivations (qui sont de plus totalement banales) ne fait que détruire tout ce qui donnait un tant soit peu de relief au personnage, et on se remémore pourquoi Eastwood avait avec justesse demandé à Leone de lui retirer autant de dialogues que possible durant le tournage de Pour une poignée de dollars.



Si ce Margheriti est très loin de compter parmi les pires westerns spaghettis produits à l'époque, il possède le défaut rédhibitoire d'être en tous points inférieur à son brillant successeur dans la filmographie du cinéaste, Et le vent apporta la violence. Kinski s'y révélera aussi étincelant qu'Harrison est quelconque ; les délires esthétiques seront plus nombreux, la mise en scène plus rigoureuse, la photo plus travaillée, les personnages plus fouillés. En effet, même un western médiocre comme Sentence de mort arrivait à exploiter convenablement une vengeance en adoptant une esthétique différente pour chaque ennemi à abattre. Ici règne une certaine monotonie et seuls diffèrent les types de lâchetés des méchants (l'un se cache derrière ses hommes, l'autre affaiblit Django pour pouvoir le tuer en public sans risques)... jusqu'à ce que Claudio Camaso entre en scène et nous gratifie d'un cabotinage éhonté mais bienvenu, contrastant plus qu'agréablement avec la fadeur d'Harrison. Il est même dommage qu'il soit si peu utilisé (l'intrigue policière oblige à retarder son arrivée, mais cette intrigue est extraordinairement faible) tant pour le coup, son jeu s'accorde beaucoup mieux avec l'idée d'installer un climat fantasmagorique.



Regrettons enfin qu'un certain nombre de personnages soient laissés à l'abandon. Passe encore que le traître de la bande de Mendoza ou la femme de celui-ci soient évacués - ils n'avaient guère d'importance - mais le détective de la Pinkerton est bien plus fantomatique que Django, tandis que le premier rôle féminin est l'un des moins crédibles, des plus inconsistants et grotesques du western spaghetti. En revanche, les dernières minutes sont l'occasion pour Margheriti de retrousser ses manches et de concocter une superbe course-poursuite baroque dans les galeries d'une grotte durant laquelle le visage de Claudio Camaso semble presque être absorbé par la roche. Pour ces quelques très belles scènes et pour le professionnalisme du réalisateur (l'affrontement avec Yuma ou le duel face au Kid peuvent s'enorgueillir d'une rigueur dans le montage dont peu de cinéastes du genre seraient capables), on peut comprendre la bonne réputation de ce faux Django chez les amateurs. Reste que pour le néophyte, on conseillera plutôt le visionnage de Et le vent apporta la violence, pièce maîtresse dont Avec Django, la mort est là demeure un brouillon très inégal.

lundi 10 novembre 2014

La Planète sauvage (René Laloux, 1973)



Sur la planète Ygam, la civilisation dominante est celle des draags, géants de douze mètres dont la vie est rythmée par les heures de méditation. Leurs enfants jouent avec des oms, humains maintenus à un stade primitif par les draags. Le jeune Terr, dont l'intelligence pose rapidement problème, tente de s'évader en ramenant aux oms sauvages un collier de connaissance draag.

Si il y a bien un domaine dans lequel le patrimoine cinématographique français ne parvint jamais à faire honneur à son pendant littéraire, c'est bel et bien la science-fiction. Qu'on pense aux romans de Verne, Rosny l’aîné, Maurice Renard ou Jacques Spitz et l'on constatera la cruelle incapacité de l'hexagone à illustrer ceux-ci. La Planète sauvage fait ainsi figure d'exception qui doit beaucoup à la réunion de talents qu'elle sut convoquer : le génial Topor au scénario (Le Locataire chimérique adapté par Polanski, c'est lui), Stefan Wul à l'histoire originelle, René Laloux à la mise en scène et Alain Goraguer à la musique. Signalons que la bande-originale du film est l'une des plus fabuleuses de l'histoire du cinéma français et que l'album est une merveille instrumentale qui n'a rien à envier à  L'Enfant assassin des mouches de Jean-Claude Vannier ou au Capot pointu de Michel Colombier. Le film fut réalisé dans le studio Jiří Trnka en Tchécoslovaquie et sur ce point, le rendu n'est pas totalement convaincant tant l'animation a vieilli et tant les personnages apparaissent comme figés (l'âge n'excuse pas tout et la comparaison avec les productions japonaises de l'époque est brutale). La monotonie du ton dans le doublage n'arrange rien et les voix exagérément neutres sont totalement inappropriées par rapport à l'univers du film.



Pour autant, La Planète sauvage est captivant lorsqu'il évoque les rapports entre les humains (ou plutôt les oms) et les draags. Certains hommes sont utilisés comme animaux de compagnie par les draags qui les traitent sans cruauté mais se méfient en revanche des oms sauvages, enchaînant de plus en plus fréquemment des " désomisations " qui font penser à une dispersion de pesticides sur des champs infectés d'insectes. Les oms sont d'ailleurs en position de faiblesse dans leur environnement et on n'est pas prêt d'oublier la scène de l'attaque d'une sorte de vautour-fourmilier géant dont la langue capture des humains sans défense. Ils n'ont que deux forces, leur nombre (ils grandissent beaucoup plus vite que les draags et par conséquent se reproduisent à une vitesse nettement plus élevée) et le fait que beaucoup de draags ne les considèrent pas comme étant assez intelligents pour constituer une menace, forces auxquelles s'ajoutent les connaissances draags dérobées par Terr. Si le film échappe au manichéisme en présentant des draags finalement plus proches de nous que ne le sont les oms, il est quelque peu dommage que l'influence de Topor ait conduit à des changements pas toujours pertinents par rapport au livre de Wul - la fin est moins crédible. Mais en ce qui concerne la réflexion sur un monde ou l'homme n'a qu'une place subalterne, La Planète sauvage est tout à fait à la hauteur d’œuvres plus célébrées telles que La Planète des singes.



Si La Planète sauvage n'a pas passé sans encombre l'épreuve du temps, elle n'en demeure pas moins l'une des tentatives les plus audacieuses et radicales de science-fiction française, qui échappe au manichéisme tout comme à la lourdeur et s'avère non dénuée d'une certaine force poétique (les courses pour échapper aux désomisations, la mort de la vieille dame, la formation des couples pour faire perdurer l'espèce). On peut regretter les difficultés connues par les piliers de l'animation française - Laloux, Paul Grimault - qui faute d'être soutenus par le système ne parvinrent pas à fournir de réelle alternative aux productions américaines et japonaises.

dimanche 9 novembre 2014

The Loveless (Kathryn Bigelow et Monty Montgomery, 1981)



Un motard, Vance (Willem Dafoe) attend le reste de sa bande dans un petit restaurant d'une ville perdue. Davis (Robert Gordon) et les autres le rejoignent, mais ils doivent réparer l'une de leurs motos. Le temps s'écoule, Vance rencontre Telena (Marin Kanter), une jeune fille balafrée, tandis que les habitants n'apprécient guère la présence du petit groupe.

Le premier film de la réalisatrice oscarisée Kathryn Bigelow fut de loin son plus difficile à appréhender. Si ses œuvres ultérieures (Point Break, Strange Days) seront souvent orientées vers l'action, il s'agit ici d'un coup d'essai beaucoup plus proche de la contre-culture des années 70. Les bikers qu'elle filme descendent en droit ligne de ceux d'Easy Rider ; la lenteur du rythme et un aspect parfois non-sensique nous renvoient quant à eux aux excellents souvenirs de Macadam à deux voies ou Point limite zéro. La présence de Montgomery, futur producteur de David Lynch, en fut peut-être l'une des causes mais certains plans portent indéniablement la marque de Bigelow. Si le film de bikers fut un genre des plus commerciaux des années 60 sous l'impulsion notamment de Roger Corman, The Loveless ressemble plus à un film d'art et d'essai à la Antonioni qu'à du cinéma d'exploitation et on pourrait résumer l'ensemble du scénario par une suite de situations potentiellement explosives... qui n'explosent pas. Chance se rend dans un magasin tenu par des noirs malgré les mises en garde de Telena, mais n'y trouve pas de conflit, simplement de l'indifférence. Tarver compte tendre une embuscade aux motards mais elle n'aura pas lieu. Chance et Davis s'opposent souvent l'un à l'autre mais il n'y aura jamais de lutte réelle, etc. Cette dramaturgie aussi originale que frustrante est à la fois la force et la faiblesse principale de The Loveless.



Parmi les dons les plus criants de Kathryn Bigelow figure sa capacité à érotiser des corps masculins, à iconiser ses héros en quelques plans. Pour son premier grand rôle au cinéma, Willem Dafoe crève l'écran. Son sourire ironique, l'aisance avec laquelle il porte le costume de cuir, la facilité avec laquelle il déclame des dialogues parfois trop littéraux (" je ne suis pas aussi blanc que j'en ai l'air " aux noirs qui le méprisent) montrent qu'il n'a guère eu à attendre avant de s'affirmer comme un brillant comédien. Le bilan est plus contrasté chez les seconds rôles (Robert Gordon, Marin Kanter et surtout J. Don Ferguson qui cabotine lourdement) qui semblent un peu victimes du hiératisme extrême de la mise en scène, qui fonctionne parfois (le fétichisme des accessoires 50's) mais peut aussi céder au beau plan pour le beau plan (Vance et Telena nus dans une sorte d'imitation d'un tableau d'Hopper).



Peut-être la clé de l'histoire est elle à chercher justement dans l'inaction des motards ; il y a un très fort contraste entre le crainte qu'ils inspirent et la réalité de leur comportement, plus puéril que réellement effrayant. Hurley participe à une course moto contre voiture, Ricky et Davis effectuent un concours d'adresse au lancer de couteau, Vance part en virée avec Telena... Tout ceci apparaît comme bien peu violent. En revanche, il semble que leur arrivée dans une petite ville ou il ne se passe rien agit comme un révélateur des désirs enfouis des gens, qu'il s'agisse de l'envie d'évasion du garagiste et de son fils, de la solitude de la serveuse ou de la haine de Telena pour son père. En ce sens, les personnages les plus fouillées seraient les habitants de la ville, mais Bigelow et Montgomery leur donnent trop peu de relief pour que ceux-ci soient réellement intéressants. De même, la voix-off de Willem Dafoe qui vient expliciter son ressenti ne s'impose sans doute pas puisque quoi qu'il pense au fond de lui, il n'agit jamais. The Loveless est un film atypique, souvent intrigant mais trop auteurisant, trop théorique pour fonctionner aussi bien que ses successeurs au sein de la filmographie d'excellente tenue de Bigelow.

jeudi 6 novembre 2014

Lady Yakuza 5 : Chroniques des joueurs (Kosaku Yamashita, 1969)



Oryu (Junko Fuji) tente de faire soigner l'un de ses hommes mais celui-ci décède. Elle procède à une remise en question et rejoint une communauté paysanne dirigée par Eguchi, un ancien yakuza qui la pousse à quitter le milieu. Un clan mené par Narutonaga s'en prend aux paysans et Oryu a de plus en plus de mal à cacher ses vieux réflexes de combattante. 

Après un très mauvais épisode 4, la saga repart sur de meilleures bases avec ce film ou l'humour pataud a totalement disparu. Faute d'avoir droit au retour de Tai Kato - qui réalisera les deux épisodes suivants -, c'est Kosaku Yamashita, déjà responsable du premier Lady Yakuza, qui est chargé de la mise en scène. On retrouve les mêmes qualités et défauts : un sens du cadre évident, un talent certain pour filmer l'action mais aussi un abus du plan fixe et une incapacité à rythmer son film en dehors des combats. Ainsi des deux grands moments dramatiques qui opposent Oryu et Eguchi : lors du premier, l'ex-yakuza reproche à la jeune femme d'être incapable de quitter ses habitudes, tandis que le second permet à Oryu de le confronter aux conséquences de son inaction. Dans l'un comme dans l'autre, la science picturale du cinéaste est manifeste (le placement des personnages dans le cadre est impeccable) mais l'absence de dynamique finit par créer de grosses longueurs.
Il s'agit également du premier épisode ou le rôle du yakuza repenti et bienveillant qui entretient une relation ambiguë avec Oryu est divisé en deux. Si l'on peut s'attendre à ce que Koji Tsuruta (grand rival de Ken Takakura et qui avait interprété un rôle de ce type dans le second épisode) s'en charge en interprétant Sanji, un brave homme affublé d'une petite fille dont il recherche la mère, c'est surtout Eguchi qu'on voit interagir avec Oryu. Comme d'habitude le scénario de Suzuki développe un certain nombre de personnages et on croisera un yakuza sec mais honorable opposé à un ami d'Oryu, un chef de clan proche de Sanji mais également des méchants, un couple en difficulté et le retour de Kumatora en fin de film. On regrettera toutefois un développement très inégal des seconds rôles.



La grosse déception, il faut le dire, vient de l'exécution ratée du combat de fin. Oryu n'y est accompagnée ni de Sanji ni d'Eguchi et se retrouve au bout d'une minute face au grand méchant ; l'usage du ralenti apporté par Yamashita n'est d'ailleurs pas des plus convaincants. Seul allié de la belle lors du règlement de comptes, Kumatora se contente de quelques coups de sabre dans un lieu différent et si on pouvait déplorer le fait que la saga n'ait jamais employé le futur acteur des Baby Cart lors des scènes d'action - ce rôle étant habituellement confié au personnage de Fujimatsu -,son apparition est ici d'une trop grande brièveté pour ne pas donner un sentiment de gâchis. C'est d'autant plus dommageable que pourtant, Yamashita semblait jusque là mettre un point d'honneur à être relativement efficace sur ce plan, et que les combats précédents celui-ci sont de très bonne qualité. Il aura également eu le mérite d'être le premier à mettre Oryu si près du renoncement puisqu'elle semble bien déterminée à vivre au sein des paysans, mais sur trop d'aspects le film ressemble à une compilation d'éléments déjà vus en mieux dans les premiers épisodes (le moment ou Oryu mise sa vie aux cartes pour sauver ses amis, l'embuscade contre Takei). Toutefois, les dernières minutes nous réservent un beau moment d'émotion lorsqu'elle trahit sa promesse à Sanji pour le bien d'une petite fille.



Au final, un film légèrement inférieur au premier opus réalisé par Kamashita, et clairement en deçà des réalisations signées Suzuki et Kato. La mise en scène artisanale de Yamashita est typiquement de celles qui, sans couler un film, peinent énormément à le transcender tandis que le côté un peu stéréotypé de l'héroïne fait qu'on peine à être aussi fasciné par elle qu'on l'était par un Zatoichi ou un Ogami Itto. Pour autant, l'on espère que certaines directions empruntées (l'absence d'humour, Tomisaburo Wakayama qui se bat) seront suivies lors des épisodes ultérieurs. A suivre...

mercredi 5 novembre 2014

En avant, jeunesse (Pedro Costa, 2006)



Ventura, un immigré noir vivant au Portugal, est abandonné par sa femme Clotilde. Il décide de passer du temps avec ses nombreux enfants du quartier et projette d'acheter un appartement dans lequel il pourra vivre avec ceux qui en auront besoin.

On retrouve ici la veine la plus fréquente chez Costa, celle de l'étude d'un quartier pauvre de Lisbonne qu'on avait déjà côtoyé dans Ossos et Dans la chambre de Vanda, deux films dans lesquels jouait déjà l'actrice Vanda Duarte (qui a beaucoup changé physiquement). La destruction du quartier, largement évoquée dans Dans la chambre de Vanda, est ici pratiquement terminée et a achevé de déloger les plus défavorisés. L'histoire est un peu plus claire que d'habitude puisque pratiquement toutes les scènes consistent en un dialogue entre Ventura et l'un de ses enfants ; en revanche, elle ne précise pas si il s'agit d'enfants adoptés ou non (Ventura et Clotilde sont noirs, Vanda et son bébé sont blancs), d'autant plus qu'on entend parler ici et là d'une mère morte et que les fils et filles de Ventura semblent pratiquement ignorer l'existence les uns des autres. Ainsi Vanda est convaincue que Nhurro est décédé, Nhurro qui côtoie l'un de ses frères sans qu'aucun ne sache que l'autre a Ventura pour père. Tout cela laisse plutôt penser que Ventura est un père de substitution pour tous les malheureux du quartier, figure amicale superbement incarnée par l'acteur du même nom auquel l'étrange charisme vient donner une très forte présence.




Formellement, En avant, jeunesse est sans doute l'un des films les plus radicaux de Costa : on n'y trouve que des plans fixes, d'une durée encore accentuée par rapport à Dans la chambre de Vanda. Si Ossos possédait encore une certaine ligne narrative (avec notamment la lutte pour la possession de l'enfant) et si un peu de romanesque se mêlait parfois à son documentaire, En avant, jeunesse est en revanche asséché à l'extrême. Le travail esthétique lié au cadre est toujours présent, mais l'aspect " réel " ne fonctionne pas et à l'instar de Ossos, l'ennui s'installe ici très rapidement tant l'ensemble a parfois l'air d'une caricature de film d'auteur. On peut d'ailleurs s'interroger sur la pertinence d'une certaine critique, prompt à critiquer l'usage intempestif du zoom ou d'un montage ultra-rapide mais qui ne remet jamais en question la nécessité du plan fixe et de la lenteur : quel est l'intérêt de faire durer une minute de plus un plan ou Ventura et son fils se tiennent la main ? Il ne crée pas d'émotion - les personnages sont trop abstraits -, n'est certainement pas hypnotisant, seulement long. Le misérabilisme d'Ossos est légèrement atténué (Vanda par exemple a réussi à se sortir de sa dépendance à la drogue), mais il y a toujours quelque chose de problématique dans le fait que Costa semble considérer que le hors-champ est la solution à toutes les problématiques liées à la représentation de la misère ; ainsi de l'enterrement ou l'on ne voit que Ventura, ou encore de ses discussions avec un ami ou ils évoquent la rudesse de leurs conditions de travail. Certes, l'on peut savoir gré à Costa, dans un monde ou l'image domine, d'éviter le didactisme, mais l'alternative qu'il constitue ici n'est guère séduisante.



Il faut savoir que l'image, souvent sombre, a été retravaillée en post-production par Costa pour noircir l'environnement ; si ce type de procédé ne pose pas de problème dans une oeuvre de pure fiction, on peut se demander si il n'est pas symptomatique ici d'un ascétisme aussi artificiel que le cinéma hollywoodien dont il est l'exact contraire : l'un magnifie le réel, l'autre le ternit. A l'occasion de quelques séquences durant lesquelles Ventura et l'un de ses fils répètent inlassablement une lettre qui doit être envoyée à une femme retournée au Cap-Vert, le metteur en scène atteint son but et l'effet de répétition fonctionne aussi bien que lors des scènes de chant de Ne Change rien. De même, le moment ou les habitants délirent sur ce que représentent les taches sur les murs ou la visite du musée par Ventura sont chargés d'une belle force poétique. Mais tout cela fait bien peu pour un film de 150 minutes où la neurasthénie domine et ou l'apurement voulu par le cinéaste apparaît comme quelque peu factice.

dimanche 2 novembre 2014

Duel en plein jour - le kamikaze (Kinji Fukasaku, 1966)



Un homme mystérieux convoque trois personnes, responsables durant la seconde guerre mondiale de la mort de Ken Mitarai afin de s'emparer d'un diamant. Un homonyme de Mitarai (Sonny Chiba) se retrouve impliqué malgré lui dans l'affaire ; lorsque les membres du trio sont progressivement éliminés, il devient suspect aux yeux de la police.

La découverte des films réalisés par Fukasaku dans les années 60 aura permis de montrer la diversité des genres abordés par le cinéaste, parfois très loin de l'esthétique de ses célèbres films de yakuzas. Le classicisme d'Hommes, porcs et loups ou la colorisation pop du Lézard noir s'avéraient ainsi très plaisants faute d'être évidemment aussi aboutis que le baroque du Cimetière de la morale. Ici, l'on fait face à un film d'aventure quelque part entre divertissement hollywoodien - très - décontracté et du Philippe de Broca des années 60. Sonny Chiba court tout le temps, les situations sont invraisemblables, les ennemis bêtes à manger du foin et des chameaux surgissent pour ralentir des sbires afin que nos héros puissent s'enfuir. On n'échappe ni aux moments d'exotisme permis par le tournage à Taiwan, ni à des retournements de situation qui s'accumulent lors de la dernière demi-heure, ni à de l'action hypertrophiée (Sonny Chiba qui court après un avion), ni à un humour qu'on qualifiera avec gentillesse de laborieux (le personnage principal dont le nom signifie " toilettes " et qui systématiquement s'en justifie devant les personnages secondaires ").



Il y a un énorme problème de casting. Ici, on aime - beaucoup - Ken Takakura, mais dès lors que son personnage est tué au bout de dix minutes, il faudrait être doté d'un cerveau déficient pour ne pas anticiper son retour (or, les personnages qui simulent leur mort dans les films ou un grand méchant mystérieux est tapi dans l'ombre ont souvent le même motif), qui apparaît du coup comme un grand coup d'épée dans l'eau. Sonny Chiba, limité comme acteur de composition, a souvent fait un second rôle très imposant et inquiétant chez Fukasaku ou Gosha. Mais il n'est ni drôle, ni bondissant ; la comparaison avec le Jean-Paul Belmondo de l'Homme de Rio ou Les Tribulations d'un chinois en Chine est très cruelle envers lui tant son physique massif est à l'opposé de ce que nécessitait le scénario. Sa maladresse le rend plus pénible que touchant et la sous-intrigue sentimentale est totalement ratée. Si on ne peut nier que le cabotinage éhonté de l'acteur emporte parfois le morceau, les moments réellement sympathiques sont bien rares et constituent l'exception plus que la règle - le budget limité n'aidant en rien -.



Enfin, il faut admettre que cette histoire de trafic de diamants, d'association de malfaiteurs et de seconde guerre mondiale n'est pas des plus passionnantes et ne constitue pas un canevas narratif suffisant pour rattraper le reste. Duel en plein jour - le kamikaze n'est pas le pire film de Fukasaku, il est loin des sommets de nullité que constitueront ses incursions dans la science-fiction ou son ignoble Battle Royale 2 (l'a t-il réellement réalisé ? ). Mais il renvoie un pénible sentiment d'impasse, celui d'un metteur en scène franchement à côté de son sujet ; l'écart avec le Hitchcock des 39 marches ou les films de Philippe de Broca est considérable, et il n'a même pas pour lui des excès comparables à ceux des dernières minutes de Du Rififi chez les truands qui laissaient entrevoir un réel talent de cinéaste. Le film conserve deux mérites en l'état : d'abord, un rythme suffisamment survolté pour lui permettre de se regarder avec un peu d'indulgence (ça n'arrête jamais) ; et enfin, une certaine originalité dans la carrière du metteur en scène qui fait qu'on échappe au sentiment de redite. Mais tout cela fait très peu et Duel en plein jour - le kamikaze s'oublie à peine sorti de la salle.