mercredi 24 septembre 2014

Entre onze heures et minuit (Henri Decoin, 1949)


Le commissaire Carrel (Louis Jouvet) enquête sur un double meurtre, celui d'un avocat véreux et celui d'un trafiquant, Vidauban, dont le commissaire est le sosie. Il décide de se faire passer pour Vidauban auprès de son entourage et rencontre notamment sa maîtresse Lucienne (Madeleine Robinson). Mais bien des gens en veulent à Vidauban... 

La beauté de ce singulier polar d'Henri Decoin ne réside pas dans son idée initiale, que le film lui-même tourne en dérision dès les premières minutes : un cinéma diffuse plusieurs œuvres basées sur la présence de sosies et voit un public perplexe se demander comment peut-on encore avaler de semblables histoires. Ici, l'effet est d'autant plus chargé que le flic joué par Jouvet possède non seulement le physique du cadavre mais également son timbre de voix et sa diction, or le phrasé de Jouvet n'est surement pas des plus courants. Mais tout ceci n'est guère important. Il ne s'agit certainement pas, contrairement à bien des histoires de double, d'explorer la face cachée d'un personnage, de l'opposer à son pendant maléfique ou à un autre destin qui aurait pu être le sien. La beauté et la limite du film de Decoin est de n'être qu'une fantaisie amusante et légère exploitant un postulat peu crédible ; et là ou beaucoup de metteurs en scène auraient tenté de renforcer leur argument de départ, Decoin semble plutôt s'en amuser, or ici on préfère les comédies drôles aux films faussement profonds.



En dépit de la légèreté avec lequel le cinéaste gère son point de départ, le scénario est remarquablement construit et évoque certains des plus tortueux films noirs américains (on peut notamment penser au Mort à l'arrivée de Rudolph Maté, avec lequel il partage également la simplicité de sa résolution comparativement à la complexité des enjeux mis en place). Mais là ou le Becker de Touchez pas au grisbi adapterait cet univers à une réalité française, Decoin fait preuve d'un second degré presque parodique. A cet égard, les dialogues d'Henri Jeanson, remplis d'ironie, sont ici beaucoup moins problématiques que d'habitude : intégrés à un canevas irréaliste et prononcés par un personnage constamment en représentation (Louis Jouvet passe le film à tenter d'en dire le moins possible de peur de se faire démasquer, et multiplies les tautologies et autres phrases vides de sens), ils sont bien mieux intégrés que dans l'univers tragique de Pépé le Moko, par exemple. La fantaisie de la mise en scène (Jouvet tente de prouver qu'une femme a forcément entendu un coup de feu et voit sa démonstration rendue inintelligible par le bruit du train) fait le reste et Entre onze heures et minuit parvient, sans vulgarité, a remplir son contrat de divertissement policier.



Jouvet est formidable, tant dans sa manière de pousser les autres personnages à lui confier l'air de rien des détails sur le truand qu'il incarne que dans ses moments plus sérieux face à l'excellente Madeleine Robinson. D'une agréable galerie de seconds rôles émergent le très drôle Jean Meyer en truand bavard et Monique Mélinand en secrétaire mystérieuse. Il est quelque peu dommage que Decoin semble refréner ses audaces visuelles (le motif inquiétant et récurrent du tunnel dont il ne fait pas grand chose ; la manière bâclée dont se termine l'histoire du duo de tueurs, là ou un Lang ou un Siodmak auraient conclu par un moment de bravoure), mais la manière de refuser tant le happy end qu'une fin trop " film noir " justement est particulièrement bien trouvée.

Un film plaisant devant l'essentiel du plaisir qu'il procure aux dialogues de Jeanson et à l'interprétation de Louis Jouvet ; de là à rejoindre le critique Jacques Lourcelles pour qui le film de Decoin surpasse les polars de Jean-Pierre Melville ou Alain Corneau, il y a un pas que nous nous garderons bien de franchir.

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