Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
dimanche 28 septembre 2014
Le Baron Gregor (Roy William Neill, 1935)
La baronne de Berghman accouche de jumeaux, Gregor et Anton (Boris Karloff). Une prophétie indique que le cadet tuera l’aîné et causera la fin de la lignée. Vingt ans plus tard, Anton rentre voir son frère et découvre que celui-ci est un despote autour duquel courent d'inquiétantes rumeurs.
Boris Karloff est l'un des plus grands acteurs de l'histoire du cinéma fantastique et du cinéma tout court. Sa filmographie est extrêmement généreuse en classiques, plus (les deux Frankenstein de James Whale, La Momie de Karl Freund, Le Chat noir d'Ulmer) ou moins (ses collaborations avec Nick Grinde ou ses incursions chez le producteur Val Lewton) connus dans lesquels sa présence se révèle systématiquement décisive pour ce qui est de tirer vers le haut les œuvres sus-citées. On en vient parfois à penser qu'il faudrait être un cinéaste exécrable pour rater totalement un film avec Boris Karloff dans le rôle titre ; il faudrait l'être encore plus quand l'acteur tient un double rôle. Et Roy William Neill, artisan aussi sympathique qu'inégal, est loin d'être un manchot. L'on peut même lui savoir gré de sa gestion intelligente d'un budget de série B (peu de plans d'extérieurs, des décors parfois un peu factices) et de tenter à l'occasion de sortir sa mise en scène d'un certain statisme. Sa principale qualité est certainement à chercher du côté de sa science du rythme : les événements qui se succèdent en moins de 70 minutes seraient aujourd'hui étirés sur deux heures par une bonne partie des metteurs en scène hollywoodiens.
Mais la raison pour laquelle Le Baron Gregor se doit d'être vu, c'est bel et bien Karloff qui survole une distribution par ailleurs médiocre. La complémentarité entre les deux frères, le sadique et le bienveillant, lui permet d'exprimer une gamme extrêmement étendue d'émotions ; si le film n'a évidemment pas l'ambition du Faux-semblants de David Cronenberg, Karloff comme Jeremy Irons parvient à nous faire totalement dissocier ses deux personnages. Mais c'est lorsque Gregor joue le rôle d'Anton devant ceux qui le haïssent que l'acteur touche au génie, non sans un humour noir (Gregor semble se délecter d'apprendre qu'il est unanimement détesté) qui annonce certaines de ses compositions ultérieures telles que Le Récupérateur de cadavres de Robert Wise ou La Maison de Frankenstein d'Erle C Kenton, films dans lesquels il incarne également une sorte de folie sardonique. Il faut noter la qualité des trucages : les nombreuses scènes de confrontation entre les frères donnent vraiment l'impression d'avoir des acteurs différents l'un en face de l'autre. Une fois de plus, Karloff prouve l'inanité des critiques le réduisant au stade de " porteur de masque " du fait de la célébrité acquise grâce à Frankenstein.
Le scénario présente un digest acceptable de thématiques shakespeariennes : Gregor fait tout ce qu'il estime nécessaire pour lutter contre la prophétie (interdire l'accès à la pièce maudite, tuer son frère qui doit l'assassiner) et comme Macbeth découvrira qu'on peut interpréter celle-ci de diverses manières... Il élimine tout le monde sur son passage, famille, amis et animaux sans le commencement d'un remord et l'absence de justification psychologique (c'est son frère qui est infirme et qui est écarté de la succession) le rend d'autant plus effrayant. La chute finale, prévisible mais amenée de manière exemplaire, devrait plaire aux amateurs d'Edgar Poe (on est d'ailleurs plus proche de l'univers de l'écrivain que dans certaines adaptations officielles de l'époque, notamment Le Chat Noir ou Le Corbeau... tous les deux avec Karloff).
Le Baron Gregor est une bonne surprise qui faute d'égaler les chefs d'oeuvre Karloffiens permet à l'acteur de livrer une de ses performances les plus impressionnantes. Indispensable pour les amateurs donc - et pour les autres, on leur conseillera de visionner l'intégralité des films de monstres avec Lon Chaney Jr histoire que, une fois plongés dans l'obscurité totale, la lumière leur semble d'autant plus brillante.
jeudi 25 septembre 2014
Les Quatre de l'apocalypse (Lucio Fulci, 1975)
Les habitants d'une petite cité décident d'éliminer tous les hors-la-loi et lancent une véritable épuration. Quatre rescapés sont épargnés et forcés de quitter la ville ensemble : un joueur, Stubby (Fabio Testi), une prostituée, Bunny (Lynne Frederick), un mystique noir, Bud, et un alcoolique, Clem. En chemin, ils rencontre Chaco (Tomas Milian), un bandit charismatique.
Lors de sa sortie en DVD, Les Quatre de l'apocalypse subit des critiques assez fortes n'hésitant pas à le qualifier de navet. Le fait d'accompagner un trio de grands classiques du genre, Django, Keoma et El Chuncho, ne joua certainement pas en faveur d'un Fulci qui faisait bien pale figure en comparaison. Toutefois, son revisionnage des années plus tard amène à tempérer ce jugement initial : bien que très inférieur au Temps du massacre du même réalisateur, bien que rempli de maladresses formelles et scénaristiques, Les Quatre de l'apocalypse n'est pas la nullité attaquée ici et là.
Mais est-ce vraiment un western ? Fulci prend à contre-pied la quasi-totalité des stéréotypes du genre. Il n'y a qu'une seule fusillade, celle introductive. Fabio Testi n'a rien d'un tireur d'élite, et n'agit que durant les cinq dernières minutes... pour tuer un homme désarmé de sang-froid. Les personnages sont tous extrêmement inhabituels, notamment Bud le simplet noir parlant aux cadavres ; la trame générale est plutôt celle d'un road movie et certains aspects (le look très Che Guevara de Chaco, les moments de nudité sans gène) rappellent la contre-culture hippie. Finalement, moins qu'à une quelconque histoire de cow-boys, on pense parfois au très noir Avere vent'anni de Fernando Di Leo qui sonnerait également le glas d'une certaine contre-culture.
Le problème, c'est qu'il est extrêmement difficile de comprendre ou Fulci veut en venir, tant les scènes peinent à former un ensemble cohérent. Les rencontres se succèdent (la ville puritaine, les mormons accueillants, le psychopathe Chaco puis les mineurs humanistes) sans réellement se répondre les unes aux autres et la brutalité du montage n'arrange rien : il arrive de passer d'une scène de dispute à une scène de rire sans la moindre transition. S'ajoutent à tous ces défauts une photographie atroce à la lumière surexposée (difficile de reconnaître le Fulci de l'Au-Delà ou de Frayeurs), une mise en scène bas de gamme abusant des zooms et une musique folk complètement inappropriée. Mais au sein de cet univers bancal jaillissent quelques moments saisissants tels que la torture du shérif par Chaco, l'extraordinairement violente scène d'introduction, le moment de cannibalisme ou les étonnamment touchantes confrontations entre Fabio Testi et Lynne Frederick. La gestion du groupe de quatre est également surprenante : au lieu de jouer sur leurs oppositions, Fulci montre toujours un groupe uni bien qu'hétéroclite, qui se serre les coudes en dépit de la violence du monde extérieure. L'empathie du cinéaste pour ses personnages marginaux est évidente et le contraste entre la violence du film et la douceur de son regard n'a que peu d'équivalents.
Il est donc difficile de juger sereinement un film aussi atypique, où deux fulgurances sont parfois séparées par un tunnel d'ennui (la séquence chez les mineurs est horriblement longuette), où le brio des acteurs (Milian et Testi sont excellents, Lynne Frederick ravissante) compense la grande pauvreté visuelle et ou les métaphores religieuses se marient difficilement avec les obsessions gores du cinéaste. Mais il y a une âme dans Les Quatre de l'apocalypse, une volonté de faire bifurquer un genre moribond vers des directions inattendues, de surprendre le spectateur. En ceci, Les Quatre de l'apocalypse vaut sans doute plus que la somme de ses qualités cinématographiques et fait partie de ces ratages audacieux pour lesquels on éprouve une réelle sympathie ; reste que l'association entre Fulci et Fabio Testi se révélera bien plus convaincante avec La guerre des gangs.
mercredi 24 septembre 2014
Entre onze heures et minuit (Henri Decoin, 1949)
Le commissaire Carrel (Louis Jouvet) enquête sur un double meurtre, celui d'un avocat véreux et celui d'un trafiquant, Vidauban, dont le commissaire est le sosie. Il décide de se faire passer pour Vidauban auprès de son entourage et rencontre notamment sa maîtresse Lucienne (Madeleine Robinson). Mais bien des gens en veulent à Vidauban...
La beauté de ce singulier polar d'Henri Decoin ne réside pas dans son idée initiale, que le film lui-même tourne en dérision dès les premières minutes : un cinéma diffuse plusieurs œuvres basées sur la présence de sosies et voit un public perplexe se demander comment peut-on encore avaler de semblables histoires. Ici, l'effet est d'autant plus chargé que le flic joué par Jouvet possède non seulement le physique du cadavre mais également son timbre de voix et sa diction, or le phrasé de Jouvet n'est surement pas des plus courants. Mais tout ceci n'est guère important. Il ne s'agit certainement pas, contrairement à bien des histoires de double, d'explorer la face cachée d'un personnage, de l'opposer à son pendant maléfique ou à un autre destin qui aurait pu être le sien. La beauté et la limite du film de Decoin est de n'être qu'une fantaisie amusante et légère exploitant un postulat peu crédible ; et là ou beaucoup de metteurs en scène auraient tenté de renforcer leur argument de départ, Decoin semble plutôt s'en amuser, or ici on préfère les comédies drôles aux films faussement profonds.
En dépit de la légèreté avec lequel le cinéaste gère son point de départ, le scénario est remarquablement construit et évoque certains des plus tortueux films noirs américains (on peut notamment penser au Mort à l'arrivée de Rudolph Maté, avec lequel il partage également la simplicité de sa résolution comparativement à la complexité des enjeux mis en place). Mais là ou le Becker de Touchez pas au grisbi adapterait cet univers à une réalité française, Decoin fait preuve d'un second degré presque parodique. A cet égard, les dialogues d'Henri Jeanson, remplis d'ironie, sont ici beaucoup moins problématiques que d'habitude : intégrés à un canevas irréaliste et prononcés par un personnage constamment en représentation (Louis Jouvet passe le film à tenter d'en dire le moins possible de peur de se faire démasquer, et multiplies les tautologies et autres phrases vides de sens), ils sont bien mieux intégrés que dans l'univers tragique de Pépé le Moko, par exemple. La fantaisie de la mise en scène (Jouvet tente de prouver qu'une femme a forcément entendu un coup de feu et voit sa démonstration rendue inintelligible par le bruit du train) fait le reste et Entre onze heures et minuit parvient, sans vulgarité, a remplir son contrat de divertissement policier.
Jouvet est formidable, tant dans sa manière de pousser les autres personnages à lui confier l'air de rien des détails sur le truand qu'il incarne que dans ses moments plus sérieux face à l'excellente Madeleine Robinson. D'une agréable galerie de seconds rôles émergent le très drôle Jean Meyer en truand bavard et Monique Mélinand en secrétaire mystérieuse. Il est quelque peu dommage que Decoin semble refréner ses audaces visuelles (le motif inquiétant et récurrent du tunnel dont il ne fait pas grand chose ; la manière bâclée dont se termine l'histoire du duo de tueurs, là ou un Lang ou un Siodmak auraient conclu par un moment de bravoure), mais la manière de refuser tant le happy end qu'une fin trop " film noir " justement est particulièrement bien trouvée.
Un film plaisant devant l'essentiel du plaisir qu'il procure aux dialogues de Jeanson et à l'interprétation de Louis Jouvet ; de là à rejoindre le critique Jacques Lourcelles pour qui le film de Decoin surpasse les polars de Jean-Pierre Melville ou Alain Corneau, il y a un pas que nous nous garderons bien de franchir.
samedi 20 septembre 2014
Public Enemies (Michael Mann, 2009)
John Dillinger (Johnny Depp) fait évader de prison plusieurs de ses complices. J. Edgar Hoover s'en sert comme d'un prétexte pour créer le FBI. Il demande à l'agent Purvis (Christian Bale) de superviser l'arrestation de Dillinger, qui rencontre une jeune métisse indienne, Billie Frechette (Marion Cotillard) et en tombe amoureux.
Drôle de film dont les parti-pris de montage semblent vouloir condenser un scénario de grande fresque mafieuse en deux heures. Les éléments non-expliqués ou non-résolus vont ainsi se succéder : lors de la première séquence, Dillinger exclue Shouse du groupe pour avoir involontairement entraîné la mort de Walter Dietrich ; pourtant, Shouse fait partie de la bande lors de l'attaque du chalet sans qu'une scène soit venue justifier sa réintégration. Youngblood, le colosse noir avec lequel Dillinger s'évade, est évacué du récit (le Dillinger de Milius lui faisait rejoindre le gang). L'attaque du train avec le gang Barker-Karpis est mentionnée deux fois sans avoir la moindre implication sur l'intrigue principale - on ne sait même pas si elle a finalement eu lieu -. On n'en sait pas plus sur les rapports entre Dietrich et Dillinger...
Tout ceci ne constitue pas réellement un défaut. A l'instar du Friedkin de French Connection, Mann a probablement supprimé bon nombre de scènes de transition au montage pour ne garder que l'essentiel. A la lenteur de Miami Vice succède donc un film beaucoup plus rythmé qui suit une trajectoire rectiligne, d'ou une relative absence des moments plus lents typiques de Mann (les discussions amoureuses du Solitaire ou de Heat, la scène du tigre du Sixième sens...) en vue d'épouser le trajet d'un gangster plus romantique ici que chez Milius ou Siegel - à le rapprocher d'un personnage siegelien, il faudrait moins voir du côté de Baby Face Nelson que de Tuez Charley Varrick ! qui partage avec Public Enemies une thématique de la recherche de l'indépendance, Dillinger étant mis sur la touche par une mafia moderne réorganisée par Frank Nitti -.
Tant la prestation de Johnny Depp que l'écriture minimaliste de son personnage ont été fréquemment critiqués. Pour autant, non seulement Dillinger parvient à exister grâce à quelques instants brillants (son flegmatisme lorsque son portrait est affiché dans une salle de cinéma, son arrogance face aux journalistes, la scène du commissariat, le jeu de miroirs lorsqu'il contemple Clark Gable jouer un gangster inspiré par lui-même), mais de plus la sobriété de Depp renforce ses quelques moments plus expressifs. On sera plus sceptique sur le reste de la distribution : Christian Bale, sans jouer mal, est un peu trop monolithique pour son personnage tandis que Marion Cotillard est occasionnellement à côté de la plaque (notamment lors de l'interrogatoire). Les seconds rôles sont quant à eux excellents - mention à Stephen Graham en Nelson - et si les Mann précédents étaient parfois victimes de choix musicaux douteux, l'usage du blues d'Otis Taylor ou de Billie Holiday est aussi bienvenu que celui du score plus classique d'Elliot Goldenthal.
Difficile également de ne pas mentionner les attaques virulentes portées contre l'usage de la haute définition tant, qu'il s'agisse de l'image ou du son, les scènes d'action apparaissent ici comme d'incroyables moments de bravoure, ou le rendu des tirs et des impacts de balle est impressionnant. Il est quelque peu dommage que de par son refus de l'immobilisme, le film n'atteigne pas la force émotionnelle des meilleurs Mann - la prestation de Cotillard n'aide pas non plus - mais en l'état, il reste un des polars les plus fascinants de la décennie 2000, et la plus réussie des diverses adaptations de la vie de Dillinger, qui a également le mérite de voir Mann tenter de sortir de l'impasse dans laquelle Miami Vice avait failli l'installer.
mercredi 17 septembre 2014
Lady Yakuza 4 : l'Héritière (Shigehiro Ozawa, 1969)
On peut chercher quelques points de comparaison dans le registre " épisode à oublier d'une saga intéressante " : les Zatoichi signés Kimiyoshi Yasuda, les deux derniers Sasori ou encore le sixième Baby Cart. Les Sasori étaient avant tout coulés par leurs actrices lamentables qui tentaient laborieusement d'imiter Meiko Kaji tandis que le Baby Cart de Kuroda ne se remettait jamais d'un script en forme de sous-James Bond complètement idiot. Ici, à l'instar des ratages commis par le tâcheron Yasuda, le problème est avant tout une question de mise en scène. La série n'avait cesser d'aller crescendo sur ce point : d'abord l’artisanat convenu mais efficace de Kosaku Yamashita, puis celui un poil plus recherché de Noribumi Suzuki et enfin le vrai talent formalisme de Tai Kato. Ici, rien ne semble aller : le découpage est fait en dépit du bon sens, l'action est anémique et même les cadrages n'ont pas de sens. La mort dans son lit de l'oncle d'Oryu est filmée en diagonale, procédé qui peut avoir son intérêt dans une scène d'action mais certainement pas dans un plan fixe " serein " ou il ne fait écho à aucune thématique et n’apparaît que comme étant une scorie formelle.
Le montage donne l'impression d'être toujours en avance ou en retard mais ne parvient jamais à créer l'ombre d'une tension dramatique. Et lorsqu'Ozawa tente quelque chose d'original (le combat de fin à cinq contre cinq, même si on devine tout de suite que les méchants seront en réalité dix fois plus, mais que l'arrivée de Ken Takakura compensera à elle seule ce fâcheux déséquilibre), son absence de rigueur plombe la séquence. Mais il serait mensonger de faire du réalisateur l'unique responsable du fiasco : si le scénario de Suzuki nous épargne enfin Kumatora, qui n'avait été supportable que dans le troisième épisode, on n'aura pas moins de trois groupes de personnages " comiques " (un député libidineux, un mythomane qui prétend qu'Oryu est amoureuse de lui et des sbires également libidineux) qui chacun de leur côté dépassent en lourdeur les risibles apparitions de Tomisaburo Wakayama. Même le personnage de Fujimatsu, l'un des plus sympathiques de la saga, est totalement sous-utilisé tandis que celui de Ken Takakura (anciennement mort dans le premier épisode et repenti dans le troisième, ici il est les deux à la fois) sort d'un chapeau au point que l'habituelle romance entre Oryu et lui a été oubliée en route ici : il faut dire qu'une idylle entre l'héroine et un personnage apparaissant cinq minutes aurait semblé louche.
Ici et là surnagent quelques éléments, comme pour adoucir le bilan global. L'intrigue autour des bateliers n'est guère originale mais la conviction des acteurs emporte le morceau. Junko Fuji met toujours la même conviction à jouer les héroïnes sans défaut, capables de résoudre plus de problèmes en un épisode que l'Instit durant une saison entière. La galerie de personnages de Suzuki permet de toujours se raccrocher à au moins l'un d'entre eux (ici, le tricheur Hanji, personnage le plus nuancé au milieu d'un conflit manichéen). Mais ces éléments sont d'avantage liés à la série en générale qu'à cet épisode précis, qui sur aucun plan n'est meilleur ou même équivalent aux trois premiers opus. D'ou un sentiment de grosse frustration, tempéré par le fait que ce sera heureusement la seule incursion du réalisateur dans la saga.
A noter que comparativement au film le plus célèbre d'Ozawa, Return of the streetfighter, ce mauvais ninkyo apparaît comme un véritable chef d'oeuvre kurosawaien.
lundi 15 septembre 2014
Où gît votre sourire enfoui ? (Pedro Costa, 2001)
Jean-Marie Straub et Danièle Huillet montent la troisième version de leur film Sicilia ! sous l’œil de la caméra de Pedro Costa.
Il est délicat de séparer l'appréciation critique d'un documentaire de l'intérêt qu'on porte à son sujet ; ainsi, observer durant une heure quarante les Straub exercer leur métier n'est pas une partie de plaisir si l'on est réfractaire à la conception du cinéma du couple. Mais ceci ne saurait tout expliquer : même quelqu'un n'éprouvant aucun intérêt particulier pour la carrière de chanteuse de Jeanne Balibar peut trouver dans Ne Change rien de belles choses, des moments ou Costa parvient à capter avec brio la lassitude et l'épuisement au point de nous attacher finalement à sa figure d'artiste. Le résultat est beaucoup plus mitigé ici, car les Straub ne sont pas uniquement filmés comme des artisans mais aussi comme des théoriciens du cinéma. Jean-Marie Straub, véritable moulin à paroles, n'a de cesse de disserter sur Tati, Cocteau ou Eisenstein et sa logorrhée dans laquelle pointe régulièrement la fierté d'être un artiste, un vrai - par opposition aux cinéastes hollywoodiens et à leurs films de consommation courante - a quelque chose de réellement pénible. A cet égard, les moments ou l'on sort de la salle de montage pour pénétrer dans un cinéma ou Straub donne une sorte de masterclass sont clairement de trop : ce contrechamp, qui sera également utilisé dans Ne change rien (l'on suit la préparation de la chanteuse d'un côté, ses concerts de l'autre) tourne ici à la leçon de cinéma dogmatique et arrogante, d'autant plus que comme à son habitude Costa s'attache à son sujet au point de ne jamais filmer d'intervenants extérieurs.
Ce qui sauve Où gît votre sourire enfoui ? de l'ennui qui condamnait La Maison de lave et Ossos, c'est qu'il ne montre pas un cinéaste mais un duo. Une heure quarante sur le bavard Straub userait les nerfs, tout comme une heure quarante sur la sèche et cassante Huillet atteindrait un niveau d'austérité inégalable même comparativement au reste de la filmographie de Costa. En l'état, leurs disputes, leur complémentarité et la fausse distance avec laquelle ils s'adressent l'un à l'autre (ils se vouvoient) a quelque chose de parfois comique, comme lorsque Huillet s'énerve ("taisez-vous Straub !") à propos du fait qu'après trente ans de collaboration, Straub est toujours incapable de se taire cinq minutes pendant qu'elle s'occupe du montage ou lorsqu'ils se disputent pour savoir si ils avaient acheté ou volé la chemise que porte un des acteurs du film. Le documentaire alterne ainsi régulièrement entre l'amusant - les anecdotes de tournage, les disputes -, l'énervant - les grandes déclarations marxisantes, l'idée d'un cinéma qui bannirait pratiquement la notion de plaisir - et l'intéressant lorsque les deux cinéastes sont véritablement au travail.
Quoi qu'on pense de leurs films, il est évident que les Straub sont le contraire de dilettantes et que tout est extrêmement réfléchi chez eux ; on les verra ainsi chercher la trace d'un sourire dans l'expression d'un acteur avant de se rendre compte que cela induira un faux-raccord, ou vouloir faire durer un plan jusqu'à ce qu'une portière de voiture ne les force à l'interrompre. Dans ces moments là, Où gît votre sourire enfoui ? est bien plus réussi car il montre, derrière les intentions théoriques, la difficile rencontre entre des intentions cinématographiques et la réalité du matériau filmique (Straub se compare non sans pertinence à un sculpteur). Toutefois, il est souvent difficile de comprendre le pourquoi du comment et si l'on perçoit ce que recherchent les cinéastes concrètement, il nous est presque impossible de comprendre la pertinence de leurs choix dans la mesure ou l'on ne peut distinguer comment ces éléments s’intégreront dans l'ensemble du film.
Si ce documentaire de Costa n'égale pas Dans la chambre de Vanda ou Ne change rien, il reste un film immanquable pour les fans du couple Straub-Huillet... et une curiosité pour les autres.
dimanche 7 septembre 2014
Hommes, porcs et loups (Kinji Fukasaku, 1964)
Après un décevant Du Rififi chez les truands, Hommes, porcs et loups montre une très nette amélioration de Fukasaku, pourtant encore sous le signe d'un certain classicisme formel. Mais ce classicisme n'empêche pas de voir apparaître ici et là des effets plus caractéristiques de ses films de yakuzas à venir (une introduction avec des arrêts sur image, des cadrages penchés et un changement de format très déroutant lors de la fusillade finale) ; qui plus est, si son premier polar possédait un détachement pratiquement parodique, Hommes, porcs et loups est au contraire d'une noirceur de ton qui n'a rien à envier aux futurs Guerre des gangs à Okinawa ou Combat sans code d'honneur. Il s'agit pratiquement d'un huis clos (la plupart du temps, l'action est concentrée dans une cabane au milieu d'un bidonville) ou la tension ne fait que s'accentuer et dans lequel le scénario réserve suffisamment de surprises pour qu'on ne s'ennuie jamais : les personnages sont attachants et le portrait des trois frères est particulièrement réussi.
Comme dans l'un de ses films les plus personnels, le très réussi Si tu étais jeune, Fukasaku se fait peintre de la jeunesse japonaise en perdition. Mais son portait est nuancé, complexe et la sympathie du cinéaste va certainement plus du côté de l'insoumis Sabu que de ses frères qui, de part leurs connexions au milieu, sont soumis à une forme d'autorité. La bande de Sabu, en revanche, suit un fonctionnement anarchique ou l'absence d'autorité directe n'empêche pas chacun de trouver sa place. Les personnages féminins sont d'ailleurs curieusement forts : qu'il s'agisse de la compagne de Jiro ou de l'unique femme de la bande de Sabu, elles sont toutes deux des meneuses d'hommes qui n'ont rien d'innocentes victimes ou de pleurnicheuses. Tel un Sam Peckinpah japonais, Fukasaku aime les hommes contre les groupes, et les groupes contre d'encore plus gros groupes ; la séquence la plus saisissante du film montrera ainsi celui des trois frères ayant abandonné les siens marcher, le regard vide, tandis que la population du bidonville - absolument impassible depuis le début - lui lance des pierres au visage, pierres qui ne semblent même plus blesser celui qui s'est déjà condamné. La révolte est passée d'un personnage - Sabu - a un groupe, puis à la foule entière comme l'indique le titre japonais, dont la traduction littérale ("loups, porcs puis hommes") montre une idée de progression absente dans le titre français.
Les trois acteurs principaux sont impeccables. Ken Takakura, enfin dans un rôle de brute épaisse violente et sadique, est impeccable à contre-emploi de ses personnages chevaleresques des sagas Brutal tales of chivalry et Lady yakuza. Rentaro Mikuni, l'un des acteurs japonais les plus sous-estimés, livre une prestation tragique et enfin Kin'ya Kitaôji brûlait déjà d'intensité dans un rôle d'insoumis des années avant Combat sans code d'honneur 2 : Qui sera le boss à Hiroshima ?
Le seul défaut d'Hommes, porcs et loups réside dans le fait que la mise en scène n'est pas (encore) aussi explosive que le scénario le nécessitait. Il devient clair ici que Fukasaku devra inventer sa propre manière de filmer pour être en adéquation avec le chaos ambiant du monde des yakuzas ; mais Hommes, porcs et loups montre que même un Fukasaku " conventionnel " peut éclipser une bonne partie de la concurrence, tout comme dans Le Lézard Noir il montrera son talent au sein d'un univers plus pop et plus esthétisant. Une très belle réussite.
samedi 6 septembre 2014
Return of the vampire (Lew Landers, 1944)
Le loup-garou Andreas (Matt Willis) prévient son maître Armand Tesla (Bela Lugosi) de l'arrivée d'intrus. Le professeur Saunders, assisté de la jeune Jane Ainsley (Frieda Inescort) tue Tesla et délivre Andreas du sortilège qui le tenait captif. Des années plus tard, Tesla revient à la vie et compte se venger de la famille de Saunders.
Return of the vampire sort quelques mois après Frankenstein contre le loup-garou, premier film de monstres de la Universal qui confrontait deux mythologies différentes avant qu'Erle C Kenton ne se décide à réunir toutes les créatures du bestiaire dans ses Maison de Franenstein et Maison de Dracula qui jouent d'avantage sur la rapidité et l'action que sur la profondeur des thèmes abordés. L'originalité de Return of the vampire, c'est que si Frankenstein contre le loup-garou créait une sorte d'horizontalité dans les rapports entre ses monstres (chacun avait ses forces et ses faiblesses), le film de Landers présente un loup-garou qui n'est que le subordonné du vampire, choix quelque peu étrange qui tord le cou aux habitudes du genre.
Si le vampire est l'un des meilleurs des années 40 - il suffit de se rappeler la prestation calamiteuse de l'effroyable Lon Chaney Jr dans Le Fils de Dracula de Robert Siodmak -, le loup-garou sort en revanche extrêmement affaibli de la confrontation ; il n'a pas été mordu mais n'est que le jouet du pouvoir hypnotique d'Armand Tesla, pouvoir rarement autant mis en évidence qu'ici. Ni pleine lune ni balle en argent, mais simplement un serviteur quelque peu interchangeable par ailleurs doté d'un maquillage franchement médiocre comparativement au travail de Jack Pierce pour la Universal. En revanche, Bela Lugosi plus sobre que d'habitude se taille la part du lion. Plus sobre que chez Browning, son jeu non dénué d'ironie est pour une fois privé de ses fréquents excès cabotins et son charisme naturel lui permet d'éclipser sans difficulté une distribution assez fade, ou des personnages conventionnels (un flic, une femme de science et une ingénue vampirisée) peinent à exister face à un simple plan sur le regard de Lugosi. A lui seul, il compense un scénario franchement simpliste ou les quelques idées novatrices (le vampire est réveillé par des bombes allemandes, et ce alors que le film fut tourné en pleine Seconde guerre mondiale) ne sont pas réellement exploitées.
Lew Landers, essentiellement connu pour son Corbeau adapté d'Edgar Poe dans lequel Lugosi et Karloff se partageaient l'affiche, est un metteur en scène doté d'un sens esthétique certain qui délivre parfois de très belles compositions telles que cette confrontation entre un Tesla sardonique et une Lady Ainsley impassible jouant du piano. Si cette beauté picturale est indéniablement l'un des points forts de Return of the vampire, il lui manque la profondeur, le sens du tragique des grands films de la Universal pour espérer rivaliser avec ceux-ci et Lew Landers échoue à produire autre chose qu'un Dracula " actualisé ". D'ou une véritable curiosité qui, tout en ne dépareillant pas qualitativement au milieu des autres films de monstres des années 40, démontre à l'instar de ceux-ci les difficultés connues par les studios pour renouveler leurs mythologies fantastiques, ce qui serait accompli avec brio par les anglais de la Hammer une bonne décennie plus tard.
mercredi 3 septembre 2014
Breathless (Yang Ik-joon, 2008)
Sang-hoon (Yang Ik-joon), une brute épaisse, travaille pour son ami Man-sik (Jeong Man-sik) en tabassant des mauvais payeurs endettés. Un jour, Sang-hoon frappe une lycéenne croisée dans la rue, Yeon-hoo (Kim Kkot-bi) avec laquelle il entame une relation complexe, entre violence réciproque et déboires familiaux communs.
Pour un premier film, on ne pourra pas dire que Yang Ik-joon a choisi la voix de la facilité. Breathless n'est pas un film aimable, il n'a même pas pour lui le côté " défouloir " que peuvent revendiquer bien des mauvais films de genre coréens. Mais Breathless est-il un film de genre ? Rien n'est moins sur. Son influence la plus évidente est à chercher du côté du Kim Ki-duk de l’Île ou de Bad Guy plutôt que de Park Chan-wook ou Bong Joon-ho ; on retrouve ces non-dits, ces histoires d'amour entre marginaux mais aussi une discrète empathie du cinéaste pour ses personnages en dépit de leur brutalité et de leur violence. C'est un amusant paradoxe de voir que certains cinéastes enragés ne développent jamais autant de sensibilité que dans leurs films les plus violents (pensons à Ichi the killer, dans lequel Takeshi Miike parvenait occasionnellement à faire naître l'émotion entre deux tueries). Breathless n'est pas gratuitement excessif, les coups et les insultes sont l'unique mode de communication que connaissent les personnages de Yang ; plus encore, c'est parfois pour eux l'occasion de se comprendre réellement (la rencontre entre Sang-hoon et Yeon-hoo durant laquelle aucun ne semble plus étonné que ça de la brutalité de l'autre).
Un autre aspect appréciable réside dans la complexité des personnages qui échappent tous au manichéisme. Au départ, l'on peut pourtant craindre le pire : entre le contexte familial autour de Sang-hoon (son père a tué sa soeur et causé la mort de sa mère) et celui autour de Yeon-hoo (un père devenu fou et un frère qui la vole et la frappe à l'occasion), on pense visionner un film dont le misérabilisme égalerait celui des pires moments du cinéma social britannique ou mexicain. Mais rapidement, les situations se complexifient : le père de Sang-hoon semble éprouver des remords ; le frère de Yeon-hoo laisse transparaître ses failles lorsqu'il se révèle dégoûté par la violence de son nouveau travail, et le spectateur ne sait quel jugement porter sur eux à l'image du personnage de Man-sik, dont il est difficile de dire si il est le seul ami sincère ou l'homme responsable de ce qu'est devenu Sang-hoon. Yang Ik-joon charge énormément la barque rayon pathos mais parvient à créer des êtres humains de chair et de sang qui ne sont jamais des pantins entre les mains d'un scénariste. L'acteur-réalisateur au regard dérangeant et la jeune mais prometteuse Kim Kkot-bi sont certainement à suivre de près tant leurs prestations jouent beaucoup sur la bonne impression d'ensemble laissée par Breathless, tout comme la capacité du cinéaste à créer du suspens : on passe les deux heures à anticiper des explosions de la part des personnages, explosions qui n'arrivent finalement pratiquement jamais.
Malheureusement, Breathless est tiré vers le bas par un certain nombre de scories. La mise en scène caméra à l'épaule donne quelques moments de grâce (la dispute dans la cuisine notamment) mais se révèle trop souvent brouillonne et confuse ; qui plus est, le caractère systématique du procédé est lassant. Les flashbacks ne sont pas d'une grande finesse et le rythme finalement plutôt lent occasionne des longueurs ; pourtant, Breathless se trouve quelques fois lors de ses moments de creux, mais leur grande hétérogénéité fait ressortir le côté inégal du montage. Enfin, les personnages sont plus ou moins bien gérés et certains comme le père de Sang-hoon sont un peu mis de côté. La fin est également décevante, plombée par un montage parallèle qui ne s'imposait certainement pas.
En dépit de ses nombreuses maladresses, Breathless est une jolie révélation qui à l'instar des The Chaser et The Murderer de Na Hong-jin et du Blood Island de Jang Cheol-soo donne envie de penser que la Corée du sud possède encore quelques talents qui, si ils tâtonnent encore, demeurent tout à fait dignes d'intérêt.
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