mercredi 2 juillet 2014

Ossos (Pedro Costa, 1997)



Un jeune père de famille (Nuno Vaz) sauve son bébé dont la mère Tina (Mariya Lipkina) souhaitait se débarrasser. Il erre dans Lisbonne, le nourrisson dans les mains, réclamant de quoi manger aux passants tout en proposant à l'occasion de leur vendre l'enfant. Autour d'eux, la misère, la faim, l'indifférence et la solitude.

Ossos est plus supportable que La Maison de lave pour plusieurs raisons. D'abord, il possède une trame un peu plus ténue : un bébé voué à mourir est protégé par son père, autour duquel gravitent diverses figures féminines. Ensuite, la photographie y est largement plus travaillée et en ce sens, Ossos est le film décisif parmi les œuvres en couleur de Costa, celui qui donnera le ton pour l'avenir. En dépit de leur teinte sombre, certains plans sont de véritables tableaux et le soin apporté au cadre est évident. Toutefois, Ossos reste un mauvais film car tout en étant presque aussi ennuyeux que La Maison de lave (ce qui est déjà une performance), il y ajoute une dimension misérabiliste à laquelle le cinéaste avait réussi à ne pas céder jusqu'ici.

Costa est un cinéaste ascétique, pour le meilleur et pour le pire. Sa mise en scène se compose en grande majorité de gros plans longs, sur des personnages qui ne font rien ou s’attellent à des taches anodines. On peut supporter la durée au cinéma si elle se justifie thématiquement ; les personnages de Gerry traversent un désert et leur errance s'accompagne d'un basculement progressif dans la folie, ceux de Stalker au contraire pénètrent petit à petit dans un monde aux règles diamétralement opposées au notre. Chez Costa, un personnage filmé en train d'ouvrir une porte n’accomplira probablement rien de plus excitant que la dite ouverture de porte. Vous admettrez que ceci peut venir à bout des plus farouches volontés.



Costa a tenu à filmer l'un des quartiers les plus pauvres de Lisbonne et tous ses personnages semblent vampirisés par leur lieu de vie. Rien ne vient atténuer la déprime : le jeune père défoncé que la mère oblige à dormir auprès du bébé, le bruit permanent des habitations voisines, un couple qui fait l'amour avec le bébé caché sous le lit, deux tentatives de le vendre... Quand Costa sort de son système formel et filme Nuno Vaz en plan-séquence, ce n'est absolument par pour lui offrir un échappatoire mais pour en profiter et montrer un décor invariablement terne dans lequel le personnage évolue sans qu'on différencier la rue d'avant de celle d'après. Et si le misérabilisme de Costa est sans doute moins irritant que celui, hystérique, d'un Inarritu, il n'en demeure pas moins que ses personnages sont des enveloppes vides dont l'existence n'offre aucun point d'intérêt. Il y a quelque chose de malhonnête à vouloir faire passer la sobriété pour du recul et là ou certains voient dans la démarche du cinéaste une preuve de dignité et de grandeur d'âme, de nombreux spectateurs devraient au contraire constater le triomphe de la morosité.



A filmer uniformément tout ce qui se passe, Costa échoue à transmettre un point de vue. Quand une scène ou un personnage passe l'aspirateur est filmée exactement comme une tentative de suicide au gaz, tout se vaut et plus rien n'a d'importance. Les plans sont en eux-même assez fascinants et leur composition n'est pas dénuée de force esthétique, mais tout cela enchaîné ne crée jamais une quelconque émotion. Le cinéaste touche au génie lorsqu'il filme des mystères (Le Sang) ou un personnage répétant un exercice en le perfectionnant (Ne Change rien), exercices dans lesquels son ascétisme formel ne tue pas la tension mais la décuple. Qui plus est, sur une thématique proche (l'action a lieu dans le même quartier et se concentre sur des personnages similaires), Costa serait également plus convaincant sur Dans la chambre de Vanda.
Notons que devant la réception critique française particulièrement favorable dont Ossos fit l'objet (il n'y a guère que nos collègues de Shangols pour mentionner sa pénibilité), j'invite les plus curieux à tenter l'expérience. A vos risques et périls.

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