Ma mémoire vieillit avec moi aussi j'écris sur des films que je m'en voudrais d'oublier.
dimanche 5 octobre 2014
The Triad Zone (Dante Lam, 2000)
Ren Yin-jiu (Tony Leung Ka-fai) est un puissant chef de triade qui aux côtés de sa femme Sol Fa (Sandra Ng) dicte sa loi. Il échappe de peu à une tentative d'assassinat qui l'oblige à reconsidérer ses rapports avec son entourage, qu'il s'agisse de son garde du corps Hu (Roy Cheung) ou de sa maîtresse Jojo.
On l'a déjà dit ici, Dante Lam est capable du meilleur comme du pire. The Triad Zone est certainement à l'heure actuelle son oeuvre la plus accomplie - on met de côté Beast Cops, visiblement réalisé par Gordon Chan -, la seule qui soit convaincante sur la longueur. Il faut dire que les idées délirantes se multiplient dans un état d'esprit qui a plus à voir avec les meilleurs films bordéliques des années 80-90 qu'avec le cinéma hongkongais post-rétrocession. Tony Leung porte un gilet pare-balles Versace ou danse après avoir tabassé un rival, basculant du polar à la comédie musicale en passant par la parodie (le braquage mutuel à la John Woo ou les deux protagonistes se tirent finalement dessus, la scène du sniper façon The Mission qui est un grand moment de n'importe quoi). D’où un film particulièrement hétérogène, ou il est toujours impossible d'anticiper le prochain rebondissement et qui aurait mérité une mise en scène un peu plus soignée : Dante Lam abuse des effets de style (zooms, arrêts sur image, ralentis) qui sont la plupart du temps assez lourds. L'usage de la musique lors du combat final est particulièrement maladroit, et certaines ruptures de ton qui conduisent le film dans une dimension tragique sont mal amenées.
Si il faut reconnaître une chose à The Triad Zone, c'est l'excellence de sa direction d'acteurs. Tony Leung et Sandra Ng sont irréprochables mais la galerie de seconds rôles est impressionnante, qu'il s'agisse de Roy Cheung, d'Ann Hui tout comme des vétérans Richard Ng, Eric Tsang, et Lee Lik-chi (réalisateur favori de Stephen Chow). Mais l'apparition la plus mémorable reste sans contestation possible celle d'Anthony Wong en dieu Guan qui exauce une prière de temps en temps pour maintenir la croyance humaine et ne cesse de prodiguer aux mafieux des conseils moralisateurs que personne n'écoute. Ces quelques minutes, les plus délirantes de toutes, suffisent à faire de The Triad Zone une oeuvre unique. Il y a également un jeu très drôle sur les archétypes du film de triades : Tony Leung, sous des dehors virils et dominants, est écrasé par sa femme. Ses deux adjoints Hu (Roy Cheung) et Zhuo (Eric Tsang) peuvent apparaître comme des facettes positives des héros traditionnels - l'efficacité et la loyauté - qui complètement grossies en deviennent contre-productives (le zèle de Hu cache en fait une homosexualité refoulée envers son chef, tandis que le dévouement de Zhuo le rend totalement aveugle sur sa condition, même une fois emprisonné). Derrière l'humour, il y a une vision finalement très corrosive mais aussi très lucide du monde des triades ; le seul personnage normal, celui de l'avocat de Tony Leung, est d'ailleurs déjà un pied hors du gang comme si avait conscience de n'y avoir aucun avenir.
Parmi les dernières idées loufoques qu'on évoquera : la conférence de mafieux pour deviner qui a commandité l'assassinat de Tony Leung ou la caméra se resserre sur un suspect, qui finit par annoncer qu'il a un cancer et détourne totalement l'attention générale ; le pervers qui déshabille Sandra Ng pour envoyer à son mari des photos.... de ses vêtements ; les changements de voix-off qui, moins virtuoses que chez Scorsese, fonctionnent toutefois très bien, ou encore la tentative de réanimation d'un rival proche de celle du chien dans Mary à tout prix. Il y a des longueurs dans The Triad Zone, et le duo de scénaristes aboutit à une fin un petit peu étrange qui contredit la thématique de rédemption autour de Tony Leung, mais l'on est obligé de défendre cette pépite d'humour noir ou aucun rebondissement n'est trop stupide, ou aucune règle narrative ne peut être dynamitée. On espère en tout cas revoir un jour Dante Lam à ce niveau.
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